Kinshasa, 5 juillet 2025. Sous les dorures du Salon Congo de l’hôtel Pullman, des regards se croisent, les micros captent les envolées diplomatiques, et les caméras immortalisent une promesse : transformer la biodiversité en moteur de justice sociale.
Le Président Félix-Antoine Tshisekedi lance officiellement les travaux de la Table ronde sur le Crédit Bonobo, une initiative aussi ambitieuse qu’énigmatique, présentée comme un mécanisme financier inédit au service des communautés locales et des peuples autochtones. Mais derrière les discours inspirants et les flashs des photographes, une question s’impose : cette promesse de solidarité environnementale pourra-t-elle tenir ses engagements dans un pays où la forêt est à la fois trésor et champ de bataille ? L’idée, en soi, séduit. Associer les espèces emblématiques – bonobo, okapi, gorille de montagne – à une valeur financière indexée sur leur rôle écologique et culturel, pour ensuite canaliser des fonds vers les communautés qui les protègent. Une biodiversité cotée, non plus en émotions, mais en crédits. Le mot d’ordre est clair : donner une valeur économique aux services écologiques rendus par la nature pour encourager sa préservation. Une sorte de « bourse verte » centrée sur l’ADN unique du bassin du Congo, deuxième poumon de la planète après l’Amazonie.
Mais concrètement, que signifie ce « Crédit Bonobo » pour celles et ceux qui vivent au plus près de cette biodiversité ? Comment s’assurer que les peuples autochtones et les communautés rurales ne soient pas relégués au rang de simples figurants dans une mise en scène de finance verte destinée aux bailleurs occidentaux ? À la tribune, le Président Félix Tshisekedi n’élude pas ces préoccupations : « Ces communautés, véritables sentinelles de nos écosystèmes, méritent en retour une reconnaissance équitable et une juste rétribution de leurs efforts ». Un ton ferme, teinté d’espoir, qui résonne dans la salle. Mais sur le terrain, les acteurs locaux attendent des garanties. Car la réalité est complexe : absence d’infrastructures, faiblesse des cadres juridiques, et surtout, un historique de projets de conservation souvent menés sans réelle consultation des populations concernées.
« Il ne faut pas que le Crédit Bonobo devienne un concept de plus pour remplir des PowerPoint à Bruxelles ou à Genève », prévient un expert environnemental congolais resté anonyme. « Si on parle de justice environnementale, alors il faut commencer par co-construire ces mécanismes avec les communautés, pas les leur imposer après coup. »
Yves Milan Ngayngay, directeur général de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), tente de rassurer : « Nous voulons élargir ce programme à d’autres espèces emblématiques, pour renforcer son impact environnemental et communautaire à l’échelle de la vision écologique du Président ». Il cite la réserve de Lomako-Yokokala, où des efforts d’habituation de bonobos sont déjà en cours avec l’appui de la Fondation du Zoo d’Anvers (AZF). Mais là encore, les impacts concrets sur les conditions de vie des populations riveraines restent timides, selon plusieurs ONG locales. Côté gouvernement, le ton est plus offensif. Benjamin Toirambe, secrétaire général à l’Environnement, alerte : « La vitesse de maturation de ces concepts doit refléter celle de l’érosion de la biodiversité. Nous devons agir maintenant ». Une urgence réelle, mais qui ne doit pas servir d’alibi à la précipitation ni à l’opacité.

Car la préservation ne se décrète pas : elle se négocie. Et le capital naturel de la RDC – ses forêts, ses espèces endémiques, ses savoirs autochtones – ne peut être monnayé sans une gouvernance limpide, inclusive, et rigoureuse. La table ronde, qui se poursuit à kinshasa du 7 au 8 juillet, devra franchir ce cap. Définir non seulement une méthodologie pour quantifier la biodiversité en crédits, mais aussi un cadre de redistribution clair, équitable et contrôlable. Les risques d’un accaparement de ces ressources financières par les élites ou par des entités privées internationales sont bien réels. Le modèle du Crédit Carbone, autrefois perçu comme une panacée, en a démontré les limites.
Plus qu’un simple événement, cette table ronde est donc un test : celui de la capacité de la RDC à penser une conservation moderne, alignée à la fois sur les standards internationaux et sur les besoins locaux. Le Couloir Vert Kivu-Kinshasa, vaste corridor écologique de 544 000 km², pourrait devenir un modèle si les principes de participation, de transparence et de justice sont effectivement respectés. Pour l’instant, les mots sont là. La scène est plantée. Mais comme souvent dans les initiatives environnementales, c’est dans les coulisses – celles du terrain, des assemblées villageoises et des peuples autochtones, des comités de gestion locale – que se jouera le véritable avenir du Crédit Bonobo. Si cet avenir rime avec inclusion, équité et souveraineté écologique, alors oui, peut-être, la RDC sera pionnière d’un nouveau pacte mondial entre biodiversité et dignité humaine. En attendant la fin de la table ronde kilalopress vous tiendra informer des grandes resolutions.
Par kilalopress