Kinshasa, début juillet. Sous un ciel gris d’humidité, saturé de bruits de klaxons et de poussière rouge, une déclaration tombe comme une éclaircie : la République démocratique du Congo vient de tourner une page vieille de près de 70 ans. Le samedi 5 juillet, le président Félix-Antoine Tshisekedi a promulgué une nouvelle loi sur l’Aménagement du territoire. Un geste politique fort, mais surtout une rupture symbolique avec un passé législatif poussiéreux, hérité d’un décret colonial datant du 20 juin 1957. Oui, 1957. À cette époque, Kinshasa s’appelait encore Léopoldville.
Le ministre d’État Guy Loando Mboyo ne cache pas sa fierté. Sur son compte X (anciennement Twitter), il salue une réforme « historique », fruit de quatre années de travail acharné. Ce texte est présenté comme un outil moderne pour « planifier, organiser et gérer durablement » l’espace congolais. Il ne s’agit pas simplement d’une révision technique, mais bien d’un repositionnement stratégique : repenser, de fond en comble, la manière dont les territoires sont construits, habités, utilisés — et souvent délaissés. Car la RDC, avec ses 2,3 millions de kilomètres carrés, est un géant géographique aux pieds d’argile institutionnelle. Le pays est confronté à une urbanisation galopante, anarchique, et souvent destructrice : villes tentaculaires sans infrastructures, accaparement des terres, conflits d’usage, pression sur les écosystèmes, et un exode rural mal maîtrisé. La nouvelle loi vise à répondre à ce désordre par un cadre légal rigoureux, adossé à une politique nationale d’aménagement du territoire enfin opérationnelle.
Cette réforme législative propose notamment la centralisation des données spatiales et statistiques, jusque-là éparpillées entre ministères, agences, ou institutions régionales. Elle impose aussi la réalisation d’études environnementales, sociales et économiques préalables avant tout aménagement de grande ampleur. En d’autres termes, l’État congolais cherche à ne plus se contenter de gérer le territoire « par défaut » ou par réaction, mais de le planifier avec méthode. Pour les urbanistes et spécialistes du développement durable, cette loi est un tournant. D’une part, elle modernise l’architecture institutionnelle de l’aménagement, avec une logique de décentralisation accompagnée, dans laquelle les provinces sont appelées à jouer un rôle actif — mais outillées par l’État central. D’autre part, elle offre un socle pour intégrer les impératifs climatiques et écologiques dans les politiques de développement, ce qui, jusqu’ici, relevait davantage de la déclaration d’intention que de la norme.
La Première ministre Judith Suminwa est également citée par le ministre Loando Mboyo pour son « leadership responsable ». Cette loi est le fruit d’une mobilisation transversale : parlementaires, techniciens, experts, ONG et bailleurs ont participé à sa construction. Ce consensus est rare dans un pays souvent fracturé politiquement, et marque la volonté de faire de l’aménagement du territoire un levier de réconciliation entre développement économique, justice sociale et protection de l’environnement. Mais ce texte, aussi ambitieux soit-il, ne sera qu’un point de départ. Il reste à voir comment il sera mis en œuvre sur le terrain, dans les provinces les plus reculées, dans les zones de conflit, dans les forêts du bassin du Congo ou au cœur des villes en expansion incontrôlée comme Goma, Lubumbashi ou Kinshasa. Comment traduire en plans d’aménagement locaux, en cartographies accessibles, en formations des cadres publics, ce que la loi énonce dans un langage administratif rigoureux ?
Les enjeux sont immenses : améliorer la résilience des territoires face au changement climatique, garantir un usage équitable des terres, réduire les tensions foncières, protéger les forêts primaires, anticiper les migrations internes. Cette loi pourrait être la clé d’une gestion plus sobre et plus intelligente du territoire congolais. À condition, bien sûr, qu’elle ne reste pas lettre morte. Dans un pays tel que la RDC en pleine transition démographique, écologique et politique, ce nouveau cadre légal est un signal. Il dit : « Nous voulons reprendre la maîtrise de notre espace. » Le chemin est encore long, mais l’impulsion est donnée.
Par kilalopress