Kinshasa, 25 juin 2025. Dans une salle comble du Centre Interdiocésain de la CENCO, une centaine de voix se sont levées – venues d’Afrique et d’ailleurs – pour poser une question cruciale : l’Afrique doit-elle continuer de miser sur les méga-barrages pour assurer son avenir énergétique ?
Cette interrogation est au cœur du Forum Continental Africain sur les Méga-barrages et la Crise Climatique, organisé par CORAP (RDC), Justiça Ambiental (Mozambique), BioVision Africa (Ouganda) et International Rivers (Afrique du Sud). Ce forum, premier en son genre sur le sol congolais, marque un tournant dans la mobilisation des communautés locales africaines autour d’un enjeu énergétique et climatique déterminant.
Sur le papier, les grands barrages hydroélectriques incarnent un rêve de développement : produire de l’énergie propre, créer des infrastructures modernes, électrifier des régions entières. Mais la réalité est souvent tout autre. « Ces projets détruisent des écosystèmes entiers, déplacent des communautés, ignorent les réalités culturelles locales », alerte Emmanuel Musuyu, secrétaire exécutif de la CORAP.
Le forum donne la parole à ceux qu’on entend rarement : les communautés d’Inga, de Luozi, de Songololo, de Busanga, de Sombwe et de Ruzizi en RDC, toutes affectées ou menacées par les projets de méga-barrages. Elles rejoignent leurs homologues venus du Kenya, du Mozambique, du Nigeria, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire ou encore du Brésil, pour partager leur vécu, dénoncer les impacts ignorés, et surtout… proposer des alternatives.

Invité d’honneur, Tosi Mpanu Mpanu, Conseiller principal du Président de la République en charge de l’Environnement, a livré une vision mesurée. « Nous ne pouvons pas aller dans un développement effréné au détriment du climat, ni tout miser sur le vert au point de sacrifier notre croissance. Il faut un modèle de développement équilibré, construit avec les communautés. » Son intervention a marqué une ouverture notable : la reconnaissance que l’État seul ne peut plus tout décider, et que la société civile doit devenir une co-architecte du développement.
Pour madame Patience NGELINKOTO MPIA, professeure à l’Université Pédagogique Nationale (UPN) et experte en climat et environnement, la crise climatique n’est plus un concept abstrait. Elle l’explique avec rigueur scientifique, mais aussi clarté : « Le dérèglement du cycle de l’eau provoqué par l’effet de serre additionnel est la cause directe des inondations qui frappent Kinshasa. » Et de rappeler que l’effet de serre n’est pas mauvais en soi, mais que l’excès, dû aux activités humaines, rompt l’équilibre climatique naturel de la Terre. Son plaidoyer : remettre la science et la pédagogie au cœur des décisions politiques.

Au-delà des discours, ce Forum accouche d’un manifeste panafricain, à portée continentale. Il vise à créer un mouvement solidaire des communautés affectées par les grands projets énergétiques, à dénoncer l’échec des gouvernements et multinationales à respecter les droits des populations locales, à promouvoir des politiques alternatives ancrées dans les réalités culturelles et écologiques du continent, et à se préparer activement à la IVe rencontre internationale des communautés affectées, prévue en novembre 2025 à Belém do Pará (Brésil).
C’est toute la philosophie de ce Forum : ne plus subir les décisions énergétiques, mais y participer. Comme l’a si bien résumé Emmanuel Musuyu : « L’Afrique a besoin d’énergie. Mais de quelle énergie parle-t-on ? Et pour qui ? » À l’heure où la Banque mondiale annonce un retour au financement des grands barrages, les acteurs du Forum lancent une alerte : reprendre ce chemin sans réévaluer ses conséquences, c’est commettre deux fois la même erreur.

L’Afrique n’est pas le principal responsable de la crise climatique, mais elle en paie le prix fort. Les communautés locales doivent devenir des acteurs centraux des choix énergétiques. Le Forum de Kinshasa lance un appel à réorienter les investissements vers des solutions équitables, durables, et réellement bénéfiques aux populations. Pour quelques participants present a ce forum, loin d’etre un événement c’est une prise de parole continentale pour dire que la transition énergétique ne peut plus se faire sans les peuples.
Par kilalopress