« Je n’étais pas à la maison quand des militaires et des policiers sont venus chez moi j’ai eu peur au vu du nombre venu dans le but de remettre cette lettre à mon fils… Je ne sais pas lire, mais les voisins disent qu’on a 48 heures pour quitter notre terre. Où irons-nous avec nos enfants ? »
— Marie, habitante de Mégé, village du territoire de Watsa
Cette scène digne d’un film post-apocalyptique n’est pas tirée d’un scénario de fiction, mais bien du quotidien brutal des populations du village de Mégé, dans le territoire de Watsa, province du Haut-Uélé. Ce 25 juin 2025, l’impensable est devenu réalité : une lettre de sommation finale signée par l’administrateur du territoire intime aux habitants de déguerpir dans les 48 heures, sans jugement, sans relogement, sans indemnisation. Une opération d’expulsion express, menée au profit de la puissante société minière KIBALI GOLD MINES, avec la complicité manifeste des autorités locales.
Cela fait plusieurs semaines que les alertes se multiplient sur le terrain. Depuis le 28 mai, les habitants de Mégé dénoncent menaces, intimidations, harcèlements — mais aucune mesure n’a été prise pour les protéger. Aujourd’hui, on ne parle plus de menace, mais d’éradication planifiée. Ce sont des centaines de familles congolaises que l’on arrache à leur sol, leur histoire, leurs racines. Et tout cela, dans un silence presque total des institutions de la République.

Les faits documentés par la société civile sont accablants : tortures, arrestations arbitraires, traitements inhumains, pillages organisés, enlèvements… Une terreur organisée qui ne laisse aucun doute sur la nature de l’opération : ce n’est pas une simple mesure administrative, c’est un nettoyage communautaire au nom du profit minier.
Face à cette catastrophe humaine, une correspondance officielle a été adressée au Procureur Général près la Cour d’appel de Haut-Uélé, dénonçant une décision illégale, arbitraire et contraire aux droits humains fondamentaux. Les accusations portées sont graves : imposition d’autorité en dehors du cadre légal, traitement discriminatoire à caractère ethnique, usage de la force en violation flagrante de la Constitution congolaise et du droit international humanitaire.
L’article 30 de la Constitution garantit pourtant le droit de résidence. L’article 16 protège l’intégrité physique. L’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit toute forme de torture. Ces droits sont aujourd’hui foulés aux pieds à Mégé. Et le gouvernement Suminwa, jusqu’à présent, reste muet.
Dans ce drame, il ne s’agit pas uniquement de droit. Il s’agit de vies brisées, de villages condamnés à disparaître, de femmes et d’enfants condamnés à errer, sans solution. La situation de Marie est loin d’être isolée : c’est le quotidien de centaines d’habitants qui, en quelques heures, se retrouvent apatrides dans leur propre pays.
« Ce n’est pas une expulsion, c’est une élimination », déclare un militant local sous couvert d’anonymat. Et il a raison : la logique extractive prédatrice qui prévaut dans certaines zones minières transforme les Congolais en intrus sur leurs propres terres. Ce qu’on appelle développement devient un processus d’exclusion, une machine à détruire des vies pour enrichir quelques intérêts économiques, souvent étrangers, toujours puissants.
Il faut le dire sans détour : la société KIBALI GOLD MINES n’agit pas seule. Elle bénéficie de relais politiques, d’alliances dans l’administration locale, de complicités qui laissent faire, voire qui ordonnent. L’État congolais, censé être le garant des droits de ses citoyens, devient l’instrument de leur dépossession. Les defenseurs locaux de cettte partie de la RDC lancent un appel urgent et sans ambiguïté au gouvernement Suminwa : il ne peut pas rester spectateur de cette violence. Il doit ordonner la suspension immédiate de la sommation, ouvrir une enquête indépendante sur les abus commis à Mégé, et protéger les populations contre les intérêts miniers qui les écrasent.

Le gouvernement doit comprendre que protéger ses citoyens est plus important que garantir des concessions minières à tout prix. On ne construit pas un État de droit sur les cendres des villages effacés. On ne parle pas de progrès quand les communautés meurent en silence. Il reste 48 heures.
48 heures pour expulser.
Ou moins de 48 heures pour résister. Ce n’est pas aux habitants de Mégé de partir. C’est à nous tous d’agir pour qu’ils restent. Il est encore temps d’éviter une catastrophe. Mais ce temps, il s’efface minute après minute, au rythme de l’indifférence.
Par kilalopress