Kinshasa, 24 juin 2025. Ce jour-là, dans une salle feutrée de la Haute Cour militaire, un silence pesant enveloppe les bancs. On ne juge pas simplement une faute judiciaire. On plaide pour la mémoire, la dignité, et la survie de 36 000 paysans arrachés à leurs terres du Nord-Kivu. Le procès d’un juge militaire accusé de partialité n’est que la surface visible d’une injustice plus large, plus profonde. En réalité, c’est un procès contre la criminalisation des défenseurs des droits fonciers dans un pays où la terre vaut plus que la vie.
L’affaire Masisi-Rutshuru : quand la terre devient un champ de bataille juridique; les faits sont simples, mais leur portée est immense. À la suite des violences du RCD et de la militarisation des terres agricoles de l’Est congolais, 36 000 personnes ont été expulsées des concessions qu’elles occupaient depuis des générations, en tant qu’anciens ouvriers de la société commerciale et industrielle SICIA luboga. Dépossédées, marginalisées, elles ont formé un comité pacifique. Objectif : plaider leur droit à rester. Parmi eux : Ndesho Kabwene, un leader communautaire et militant des droits fonciers, aujourd’hui condamné à 20 ans de prison pour… association de malfaiteurs.
Ce mardi, l’affaire a été exposée avec minutie : lettres officielles, compromis de conciliation, échanges avec les autorités. Le comité n’était ni clandestin, ni subversif. Il était légal, reconnu, dialoguant pacifiquement avec l’État. Pourtant, le juge militaire de Goma, dans son verdict initial, a balayé ces éléments sans débat. Il a élargi arbitrairement les faits, invoquant quatre concessions jamais évoquées dans l’acte de renvoi.

Une violation grave de la procédure, pointent les avocats.« Ce juge n’a pas simplement tranché en faveur d’une partie. Il a déformé les faits, ignoré les preuves, et condamné un innocent sur base de documents qui n’ont jamais été discutés à l’audience », déclare Me Jean-Claude Bashangwa, maitre avocat et conseil du demandeur. Derrière la figure de Ndesho Kabwene, c’est toute une lutte climatique qui est visée. Ces comités communautaires, comme celui qu’il a cofondé, s’inscrivent dans un programme mondial d’assistance légale aux défenseurs de la terre et du climat, soutenu par la Global Climate Legal Defense (CLIDEF). Ils se battent contre l’accaparement de terres, la déforestation illégale, et l’expansion des énergies fossiles. Dans les faits, ils font le travail que les États refusent d’assumer : protéger les terres vivrières, sauvegarder les forêts primaires, et maintenir les paysans sur leurs terres.
En demandant que le juge soit révoqué, qu’il paye 500 000 dollars de dédommagement et que le jugement de 20 ans de prison soit annulé, les avocats posent une question clé : peut-on encore, en 2025, condamner ceux qui défendent la vie avec des outils pacifiques ? « Ces défenseurs n’ont jamais pris les armes. Ils ont écrit, plaidé, discuté. Et ils sont traités comme des bandits », déplore un observateur judiciaire présent à l’audience. Ce procès pourrait bien faire date. Il met en lumière un des nœuds les plus sombres de l’environnementalisme en Afrique : la répression judiciaire des défenseurs communautaires. Alors que les États appellent à la justice climatique sur la scène internationale, ils enferment leurs propres militants sur leur sol. Le 24 juin 2025, à Kinshasa, le débat n’était pas juridique. Il était existentiel. Peut-on défendre la terre sans risquer sa liberté ? Peut-on lutter pour ses racines sans être criminalisé ? Ce procès, au-delà de la République démocratique du Congo, interpelle toute la communauté internationale. Il appelle à un sursaut de solidarité, de cohérence, de responsabilité. Ce n’est pas seulement Ndesho Kabwene qu’il faut libérer. Ce sont des milliers de voix rurales, éparpillées dans les camps de déplacés du Kivu, qu’il faut écouter.
Par Franck zongwe lukama