En mai 2015, l’encyclique Laudato si’ du pape François sonnait comme un cri d’alarme : la Terre, notre maison commune, est en péril, et notre modèle de développement en est largement responsable. Dix ans plus tard, cet appel à une « écologie intégrale » continue d’inspirer bien au-delà des cercles catholiques. Pourtant, la réalité écologique globale montre un contraste douloureux entre l’ampleur de la mobilisation spirituelle et la modestie des réponses politiques et économiques.
Depuis sa publication, Laudato si’ a marqué un tournant dans la manière dont les questions environnementales sont perçues dans les milieux religieux. Des initiatives fleurissent : villages écologiques, séminaires, écoles de pensée environnementale chrétienne. La Plateforme d’Action Laudato si’, lancée par le Vatican, incarne cette dynamique. Mais, dans le même temps, les dérives du modèle technocratique global – surconsommation, extraction illimitée, marchandisation du vivant – persistent, voire s’intensifient.
Tebaldo Vinciguerra, expert en environnement auprès du Dicastère pour le Développement Humain Intégral, livre un constat lucide : « Le paradigme dénoncé par l’encyclique, celui d’une technologie au service du profit et non du bien commun, domine toujours les esprits et les politiques. » Il évoque une fracture entre centres de décision éloignés des réalités humaines et une majorité mondiale qui reste marginalisée dans les choix de développement.
Ce constat résonne tout particulièrement en République démocratique du Congo. Terre immensément riche en ressources naturelles, elle illustre de manière criante les contradictions entre abondance écologique et pauvreté humaine. La surexploitation des forêts du bassin du Congo, les activités minières incontrôlées dans l’Est, les conflits liés à l’accès aux terres ou à l’eau… témoignent d’un modèle extractiviste en totale opposition à l’esprit de Laudato si’. Pourtant, des initiatives congolaises émergent aussi : reboisement communautaire, éducation écologique dans les écoles catholiques, mobilisation des communautés paroissiales. La RDC pourrait, si elle s’en donne les moyens, devenir un acteur majeur de la transition écologique en Afrique, en articulant ses choix de développement avec une véritable écologie intégrale, respectueuse des peuples et de la Terre.
Au cœur de Laudato si’ se trouve un concept fondamental : l’écologie intégrale. Il ne s’agit pas seulement de protéger la nature, mais de penser l’ensemble des relations – avec la Terre, avec autrui, avec soi-même – de manière cohérente. Ce modèle propose une transformation en profondeur, autant personnelle que collective. Il ne s’agit plus d’ajouter un « vernis vert » aux politiques existantes, mais de redéfinir les finalités mêmes du développement.
Vinciguerra le rappelle : « Ce n’est ni à l’Église d’écrire les politiques publiques, ni à elle seule de faire changer les choses. Mais elle propose un horizon : un développement humain intégral, pour tous, et durablement. »
L’enjeu est donc double : encourager les États à s’engager sur ce chemin, sans pour autant déresponsabiliser les individus. L’encyclique interpelle chacun : nos choix de consommation, nos votes, notre éducation, notre rapport au temps et à la nature sont des leviers de transformation.
Contrairement à une certaine lecture fataliste, Laudato si’ ne dénonce pas seulement les structures. Elle invite à une véritable introspection. Car si les institutions tardent, c’est aussi que les sociétés peinent à se mobiliser avec cohérence. L’encyclique pose une question simple : « Que fais-tu, toi, ici et maintenant, avec les moyens à ta disposition ? »
Il s’agit d’une « thérapie écologique », selon Vinciguerra. Pas une solution miracle, mais une invitation à se soigner en profondeur. En cela, elle fait de l’écologie un acte spirituel et politique.
Peut-on concilier transformation écologique et maintien d’économies prospères ? Oui, répond l’encyclique, à condition de redéfinir la prospérité. Une économie qui génère de la richesse en détruisant les écosystèmes et en laissant de côté des pans entiers de l’humanité est-elle réellement « saine » ?
Vinciguerra résume : « La machine économique actuelle tourne, certes, mais pour qui ? Si elle ne sert pas la dignité humaine, alors elle est déséquilibrée. » L’encyclique n’appelle pas à l’utopie d’un impact zéro, mais à une juste mesure : reconnaître la dignité intrinsèque de toute la création et agir en conséquence.
L’avenir de Laudato si’ semble entre de bonnes mains. Le nouveau souverain pontife, Léon XIV, a déjà affiché son intention de poursuivre le combat engagé par son prédécesseur. Son choix de nom, en écho à Léon XIII – auteur de Rerum Novarum, pionnière de la doctrine sociale de l’Église – est un signal fort.
Avec une approche ancrée dans l’interconnexion et la dignité humaine, le pape Léon XIV pourrait inscrire l’écologie intégrale dans une continuité durable de l’enseignement social catholique. Pour Vinciguerra, l’avenir repose autant sur les institutions que sur les initiatives locales, collectives et spirituelles : « Tant que le cri de la Terre et des pauvres se fera entendre, Laudato si’ gardera sa pertinence. »Dix ans après sa publication, Laudato si’ n’est pas un texte du passé, mais une boussole pour l’avenir. Encore faut-il que les responsables politiques, économiques et citoyens s’en saisissent avec courage et humilité. Le temps presse, mais la voie existe.
Par kilalopress