Kinshasa/Bruxelles — Alors que les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, consolident leur emprise sur Goma et les provinces minières de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), un accord signé il y a un an entre l’Union européenne (UE) et Kigali révèle une hypocrisie criante. Le protocole d’accord, censé sécuriser l’approvisionnement en minerais critiques pour la transition verte européenne, légitime un pays accusé de piller les ressources congolaises et d’alimenter un conflit ayant fait 6 millions de morts en trois décennies 1014.
Signé en février 2024 dans le cadre du Global Gateway (un programme de 300 milliards d’euros), l’accord UE-Rwanda promettait des « chaînes d’approvisionnement durables » en étain, tantale, or et lithium. En échange, Kigali reçoit 900 millions d’euros pour développer ses infrastructures minières 19. Pourtant, le Rwanda exporte des minerais en volumes bien supérieurs à ses capacités d’extraction : jusqu’à 90 % de son coltan proviendrait de la RDC, selon l’ONG Global Witness, qui dénonce une « laverie automatique » de minerais pillés 14.
« Le Rwanda n’a pas les réserves géologiques pour justifier ses exportations », souligne Guillaume de Brier de l’International Peace Information Service, une affirmation corroborée par le Département d’État américain 19. Malgré cela, l’UE décrit Kigali comme un « acteur majeur » du tantale, fermant les yeux sur un trafic qui finance des groupes armés comme le M23 914.
Goma, Épicentre d’une Guerre Par Procuration
La prise de Goma par le M23 en janvier 2025, appuyée par 4 000 soldats rwandais selon l’ONU, a transformé la région en champ de bataille pour le contrôle des minerais 411. Les rebelles, accusés de massacres et de viols systématiques, exploitent des mines d’or, de coltan et de cobalt — ce dernier essentiel pour les batteries de voitures électriques 714.
« L’objectif n’est pas de protéger les Tutsis, mais de contrôler les zones minières », résume un analyste de l’International Crisis Group 11. Résultat : la RDC perd près d’1 milliard de dollars par an en minerais détournés, selon son ministre des Finances 914.
Alors que l’UE dispose d’une législation interdisant les « minerais de conflit », son accord avec le Rwanda contourne allègrement ces règles. Pire, le système de traçabilité ITSCI, censé certifier l’origine des minerais, est régulièrement détourné. En 2022, Global Witness révélait que 90 % des minerais étiquetés « propres » dans les Kivus provenaient de zones contrôlées par des milices 14.
« L’UE importe des minerais lavés par le Rwanda, alors que ses propres lois devraient l’en empêcher », dénonce Marc Botenga, député européen 14. Preuve de cette impunité : la RDC a intenté des poursuites contre Apple en France et en Belgique, l’accusant d’utiliser du tantale « blanchi » par Kigali 914.
Malgré les preuves accablantes de l’implication rwandaise — y compris des rapports de l’ONU confirmant le « contrôle de fait » de Kigali sur le M23 —, les États-Unis et l’UE continuent de financer le Rwanda. Washington a injecté 3,9 milliards de dollars d’aide économique depuis 2001, tandis que le Royaume-Uni évite de critiquer Kigali pour préserver un pacte migratoire 14.
La France, malgré des condamnations verbales, maintient sa coopération militaire. En mars 2023, Emmanuel Macron rejetait même la faute sur Kinshasa, qualifiant le gouvernement congolais d’instable 14.
Face à l’escalade, l’UE a enfin menacé le 25 janvier 2025 d’« utiliser tous les outils » pour sanctionner Kigali 14. Mais pour la société civile congolaise et des députés européens, il faut agir maintenant :
- Suspendre l’accord sur les minerais 19.
- Geler l’aide militaire via le Fonds européen pour la paix, qui a déjà alloué 20 millions d’euros au Rwanda pour des opérations au Mozambique 14.
- Appliquer les lois contre les minerais de conflit, plutôt que de s’abriter derrière des certifications truquées.
« L’UE ne peut prétendre à la neutralité climatique en s’approvisionnant dans le sang congolais », tonne Brenda Odimba, militante belgo-congolaise, lors d’une manifestation à Bruxelles 13.
L’accord UE-Rwanda incarne le paradoxe d’une Europe écolo-cynique, prête à sacrifier des vies pour ses batteries et éoliennes. Alors que le M23 avance vers Bukavu, et que des millions de Congolais fuient les violences, la question reste : jusqu’où l’Occident ira-t-il pour alimenter sa propre transition, sur les décombres de la RDC ?
Par Franck zongwe lukama