Au nom du pétrole, la République démocratique du Congo vient d’ouvrir une brèche dangereuse dans l’un des derniers remparts climatiques de la planète. Lors de la réunion du Conseil des ministres du 3 mai 2025, le ministre des Hydrocarbures a annoncé le morcellement de la cuvette centrale en 52 nouveaux blocs pétroliers. Une opération qui porte à 55 le nombre total de concessions ouvertes à l’exploration, soit l’équivalent de 10% du territoire national. Ce choix est un coup de force politique qui mise sur les milliards de barils encore enfouis sous les tourbières congolaises, quitte à menacer directement l’un des écosystèmes les plus cruciaux pour l’équilibre climatique mondial.
Derrière le vernis d’une démarche “concertée” avec le ministère de l’Environnement, les promesses de respect des aires protégées et de “compensation carbone obligatoire” sonnent comme une diversion. Il y a à peine trois ans, près de 30% des blocs proposés empiétaient déjà sur des zones écologiquement sensibles. Rien ne garantit que les cartes ont vraiment changé. Pire : en affirmant que les “limites ont été respectées grâce à des données techniques renforcées”, le gouvernement joue sur les mots alors que ce sont des équilibres écologiques millénaires qu’on s’apprête à dynamiter. Les tourbières du Congo stockent à elles seules près de 30 milliards de tonnes de carbone. Déranger cette gigantesque éponge climatique, c’est relâcher un poison à l’échelle planétaire.
Ce n’est pas une relance économique, c’est une fuite en avant. Après l’échec humiliant de l’appel d’offres de 2024 — torpillé par des irrégularités grossières — le pouvoir tente une relance à marche forcée en promettant une hausse de 40% des investissements étrangers. Mais à quel prix ? Une ruée vers l’or noir dans une zone aussi fragile n’est pas un projet d’avenir : c’est une opération de court terme, menée au mépris de toute rationalité climatique, écologique et même économique. Car parier sur le pétrole en 2025, c’est investir dans une énergie en déclin, dans un monde qui accélère vers la transition énergétique.
Le gouvernement vend cette opération comme un levier de développement, promettant des emplois locaux et une montée en puissance de la SONAHYDROC. Mais cette rhétorique est usée. L’histoire du pétrole africain est jalonnée de promesses non tenues, de populations déplacées, de forêts dévastées, et de dividendes évaporés vers les multinationales. Rien ne prouve que ce scénario sera différent. Et pendant que les barils s’accumuleront, les émissions de gaz à effet de serre suivront, compromettant durablement la position de la RDC comme pays “poumon du monde”.
En ratifiant l’Accord de Paris, Kinshasa s’était engagé à une réduction ambitieuse de ses émissions. Aujourd’hui, elle choisit de fracturer l’un des réservoirs les plus vitaux de carbone au monde. Cette contradiction n’est pas seulement une faute de cohérence politique. C’est une menace directe pour le climat mondial, mais aussi pour les générations congolaises futures. Car ce pétrole qu’on extrait aujourd’hui en détruisant la forêt, ce sont les sécheresses, les inondations, les crises alimentaires et les déplacements massifs de demain.
La RDC ne peut pas à la fois revendiquer le statut de nation-solution face à la crise climatique et devenir une nouvelle plaque tournante de l’extractivisme fossile. Ce double discours ne tient plus. À l’heure où le monde est à +1,5°C de réchauffement et où chaque tonne de carbone compte, ouvrir 52 nouveaux blocs pétroliers dans les poumons humides du Congo est un acte de sabotage climatique.
Par Franck zongwe Lukama