Interviewé par KilaloPress ce mercredi 18 Juin 2025, le coordonnateur national du GTCRR, Guy Kajemba, revient sur les causes de la fermeture du projet REDD+ d’Isangi, dans la province de la Tshopo. Un projet de conservation forestière vendu sur le marché carbone mais qui, selon lui, “n’a respecté ni les communautés ni les standards internationaux”. Décryptage d’un échec emblématique aux conséquences durables pour la gouvernance climatique en RDC.
Au cœur de la province forestière de la Tshopo, un projet de conservation censé protéger 187 571 hectares de forêt vient d’être brutalement interrompu. Le programme REDD+ d’Isangi, porté depuis 2009 par la société américaine Jadora LLC, n’est plus.
Lors d’un entretien exclusif accordé au média KilaloPress, Guy Kajemba, coordonnateur national du Groupe de Travail Climat REDD Rénové (GTCRR), la société civile environnementale en RDC, a livré un constat implacable : “Ce projet a été lancé sans stratégie nationale, sans mécanismes de consultation, et surtout sans l’adhésion des communautés locales. C’était voué à l’échec.”Au cœur de la province forestière de la Tshopo, dans le nord de la République Démocratique du Congo, un projet de conservation censé protéger 187 571 hectares de forêt vient d’être brutalement interrompu. Le programme REDD+ d’Isangi, porté depuis 2009 par la société américaine Jadora LLC, n’est plus.
En 2009, les droits carbone sur ces forêts ont été transférés à Jadora LLC dans le cadre du mécanisme REDD+ — un dispositif international visant à réduire les émissions liées à la déforestation, en finançant la conservation via la vente de crédits carbone. Mais sur le terrain, l’implémentation ne suit pas. “Il n’y a pas eu de cahier de charges, ni de plan de partage de bénéfices clairs, ni de processus de consentement libre, informé et préalable (CLIP)”, dénonce Guy Kajemba. Très vite, les communautés locales — censées être les premières bénéficiaires — manifestent leur mécontentement.
“Elles se sont plaintes à plusieurs reprises. Elles ont même exigé l’arrêt ou le recadrage du projet. Mais leurs voix n’ont pas été entendues”, ajoute-t-il.
Les conséquences de la fermeture du projet sont multiples, et dépassent le simple abandon administratif : Pour les communautés locales d’abord l’abandon du projet signifie la fin des maigres espoirs d’accès à des services de base, à des infrastructures promises ou à des emplois locaux. Le ressentiment est profond. “Quand vous demandez aux populations de ne pas couper la forêt mais que vous ne les impliquez pas, elles peuvent choisir de la brûler”, prévient Kajemba. “Et à ce moment-là, il n’y a plus de carbone à vendre.” Et pour l’environnement Sans projet structurant, la forêt redevient vulnérable à la coupe artisanale, à l’agriculture itinérante, à la déforestation incontrôlée. Les risques de fragmentation écologique sont réels et plus encore pour la crédibilité du marché carbone en RDC; La certification par les standards comme VERRA, condition essentielle pour vendre des crédits carbone sur le marché international, repose sur la transparence, la robustesse des données (MRV), et la stabilité foncière.
“Ce n’est pas parce que le gouvernement autorise un projet que vous allez recevoir des financements”, rappelle Kajemba. “
Il faut convaincre les acheteurs internationaux que la forêt sera réellement protégée sur le long terme. “Face à la prolifération de projets similaires en RDC, la société civile — sous la coordination du GTCRR — se mobilise. “Nous avons des points focaux dans chaque province, qui remontent en temps réel les informations sur les projets. Dans certains cas, nous siégeons même dans les organes communautaires pour vérifier les cahiers de charges”, explique Guy Kajemba.
Plusieurs initiatives sont en cours pour renforcer les mécanismes de gestion des plaintes, améliorer la transparence des données, et éviter que de nouveaux projets REDD+ soient lancés sans base solide. Malgré l’échec d’Isangi, Kajemba reste lucide et propose des pistes concrètes telles que : Renforcer la légitimité des projets par la transparence et l’implication communautaire; Rechercher un nouveau porteur de projet crédible, qui respecte les normes internationales; Réévaluer le potentiel réel de séquestration carbone dans la région, qui présente selon lui “des risques élevés de déforestation”.
Le cas Isangi ne doit pas être perçu comme un incident isolé, mais comme un signal d’alarme sur la manière dont les projets climatiques sont conçus, pilotés et vécus en RDC. “Ce qui s’est passé à Isangi peut se reproduire ailleurs”, avertit Kajemba. “Et tant que les communautés ne sont pas respectées, aucun projet REDD+ ne pourra survivre.”Le projet REDD+ d’Isangi aurait pu être un modèle de gestion durable, un pont entre les forêts et le développement local. Mais en négligeant les droits des communautés et les exigences du marché carbone, il est devenu un contre-exemple retentissant. Pour la RDC, riche de ses forêts et de ses ambitions climatiques, le message est clair : il faut désormais privilégier la qualité à la quantité. Chaque projet doit être scientifiquement rigoureux, juridiquement solide et humainement inclusif. Faute de quoi, c’est la crédibilité même de toute la stratégie climatique nationale qui vacille.
Par kilalopress