Vitshumbi, RDC – Juin 2025 – À l’aube, au bord du lac Édouard, le clapotis paisible des pirogues cache un drame écologique et social d’une ampleur historique. L’eau, autrefois poissonneuse, est désormais aussi vide que les filets des pêcheurs.
Il y a encore dix ans, les pêcheurs de Vitshumbi, Kyavinyonge et Lunyasenge jetaient leurs filets en s’attendant à remonter plusieurs centaines de tilapias en une nuit. Aujourd’hui, ces mêmes hommes d’eau reviennent avec moins de dix poissons – parfois deux – pour des journées entières en pirogue. Résultat : ruine économique, famine larvée, et invasion rampante du Parc national des Virunga.
Selon nos confreres de Mongabay; Ce que vit le lac Édouard, c’est bien plus qu’une crise de la pêche. C’est une bascule systémique.Selon les données du service de pêche de Vitshumbi, la production halieutique du lac est passée de 14 000 tonnes par an dans les années 1980 à moins de 400 tonnes en 2022. Ce déclin spectaculaire – plus de 97 % de perte – n’est pas dû au hasard.
Les causes sont mécaniques : usage de filets interdits (mailles inférieures à 4,5 pouces), surpêche, pêche nocturne illégale, motorisation non contrôlée, et surtout, la complicité active ou passive des forces navales, agents étatiques et groupes armés comme le M23 et les Wazalendo. « La pêche des tilapias ne mobilise plus. On attrapait 1 000 poissons par jour, aujourd’hui à peine dix », confie Lufukaribu Kombi, pêcheur depuis 30 ans.
Ce déséquilibre ne résulte pas seulement d’une suractivité humaine, mais d’un effondrement écologique doublé d’un abandon institutionnel.Le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus), espèce dominante, est un reproducteur rapide en milieux stables. Mais lorsqu’il est surexploité en période de ponte, avec des filets à petites mailles capturant juvéniles et adultes indistinctement, il ne peut reconstituer ses stocks. La pêche illicite agit donc comme un filtre biologique inversé : elle empêche la croissance des populations tout en dépeuplant la zone de reproduction. À mesure que le cycle est rompu, la chaîne trophique s’effondre.Au cœur de cette crise se trouvent des vies. Eric Misonia, ancien pêcheur, a quitté le lac pour vendre de la bière artisanale. Hangi Sikuzote cultive désormais la terre en alternance. Près de 47 % des habitants de Vitshumbi ne vivent plus de la pêche.

Or cette reconversion n’est pas sans conséquences : elle se fait aux dépens du Parc des Virunga, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. La pression agricole, la collecte illégale de bois et l’occupation humaine y explosent.
« Toute la région côtière du lac, bien que partie intégrante du parc, subit des dégradations environnementales directement liées à l’exploitation halieutique », prévient un rapport de l’Université Catholique du Graben.La dégradation des écosystèmes halieutiques a un effet direct sur la santé publique. Selon Dr Jean-Michel Kanane, du centre de santé de Vitshumbi, les cas de malnutrition aiguë et sévère se multiplient, liés à la disparition des poissons, source majeure de protéines pour la population locale. « Le lac est l’unique source locale de revenu et de protéines. Il faut agir », alerte-t-il. Le prix du tilapia a quadruplé, passant de 0,5 USD à plus de 2 USD. Pour Prisca Mwasi, ménagère de Kyavinyonge :
« Nous ne mangeons presque plus de poissons. Imaginez : si mon mari ramène un tilapia, comment allons-nous le partager ? » L’histoire du lac Édouard n’est pas seulement celle d’un écosystème en péril. C’est celle d’un patrimoine biologique en voie d’extinction, d’un tissu social qui se délite, d’une économie de subsistance en chute libre. Et pourtant, les leviers d’action sont connus : Relance d’un programme de pêche durable et encadrée; Interdiction effective des filets à mailles fines ; Surveillance des pêcheries par des comités mixtes (État – pêcheurs – ONG); Démilitarisation des zones de pêche
Mise en œuvre d’un moratoire temporaire pour régénérer les stocksLe lac Édouard est en train de devenir un désert aquatique au cœur de l’un des plus riches parcs naturels d’Afrique. Si rien n’est fait, ce n’est pas seulement le tilapia qui disparaîtra, mais toute une culture, une économie locale, et un équilibre écologique fragile. Il est temps de sortir de l’indifférence. Car un lac vidé de ses poissons est une assiette vide pour des milliers de familles, un avenir compromis pour des générations entières.
Par kilalopress