Kinshasa vient de prouver, une fois encore, que le véritable cœur de la transition énergétique mondiale bat au Congo. En imposant un moratoire sur les exportations de cobalt et un système de quotas, la République démocratique du Congo (RDC) a pris une décision qui fait trembler à la fois Pékin et Washington. Dans un marché longtemps dicté par les géants étrangers, cette mesure, présentée comme une reprise de souveraineté minière, redessine les lignes de pouvoir autour du métal bleu.
Depuis août 2025, la Defense Logistics Agency (DLA) — bras logistique du Pentagone — cherchait à se constituer un stock stratégique de 7 500 tonnes de cobalt. Objectif : sécuriser sur cinq ans un approvisionnement vital pour ses batteries et technologies militaires, à hauteur de 500 millions de dollars. Un pari audacieux, mais qui reposait sur un postulat fragile : la stabilité du marché mondial.
Sauf qu’à Kinshasa, le vent a tourné. Le moratoire congolais, motivé par la volonté de réguler les flux et d’éviter la fuite des richesses nationales, a provoqué un séisme sur les cours mondiaux. En quelques mois, le prix du cobalt-métal a doublé, bondissant de 21 000 à 42 000 dollars la tonne. À Rotterdam, le cobalt qualité-alliage — celui que convoitait la DLA — a grimpé de 12,50 à plus de 22 dollars la livre. Une envolée brutale qui a forcé l’agence américaine à renoncer à son projet d’approvisionnement à prix fixe.
Officiellement, Washington évoque des “problèmes techniques dans le cahier des charges”. Officieusement, les traders et analystes y voient la conséquence directe de la nouvelle politique minière congolaise. Le géant américain se retrouve aujourd’hui piégé entre deux feux : sa volonté de se détacher des chaînes d’approvisionnement dominées par la Chine — premier raffineur mondial de cobalt — et la dépendance persistante vis-à-vis de la RDC, premier producteur mondial du métal stratégique.
Pour Kinshasa, cette décision n’est pas une simple mesure économique : c’est une affirmation politique. Elle s’inscrit dans une stratégie de reprise en main du cobalt, après des décennies d’exploitation déséquilibrée. Le président Félix Tshisekedi veut transformer ce minerai critique en levier diplomatique et en moteur de développement national. Mais ce bras de fer économique a un coût : il fragilise momentanément les relations avec Washington, pourtant sollicité pour appuyer la recherche d’une issue au conflit de l’Est.
Cette tension illustre le paradoxe de la transition énergétique mondiale. Tandis que les puissances du Nord clament leur volonté de bâtir une économie verte, elles demeurent dépendantes des ressources extraites à des milliers de kilomètres — souvent dans des conditions sociales et environnementales précaires. Et au cœur de cette contradiction, le Congo impose désormais sa voix : celle d’un pays qui ne veut plus se contenter d’exporter ses minerais à vil prix, mais de maîtriser sa richesse et son destin.
Par kilalopress