Dans les provinces riches en ressources naturelles de la République Démocratique du Congo (RDC), la traçabilité des minéraux, en particulier les minerais 3T (tin, tantalum, tungsten), est devenue une priorité internationale. Cette initiative, mise en œuvre à travers des programmes de diligence raisonnable comme l’ITSCI (International Tin Supply Chain Initiative), vise à réduire les conflits liés au commerce des minéraux. Cependant, une analyse approfondie révèle que cette politique, censée promouvoir la transparence et la sécurité, impose plutôt des coûts lourds aux communautés locales, tout en renforçant le pouvoir de l’État et des acteurs internationaux.
La province du Sud-Kivu, située à l’est de la RDC, est au cœur de cette réforme. Le programme ITSCI, soutenu par des acteurs internationaux comme le gouvernement néerlandais et des multinationales, a introduit des mécanismes de traçabilité pour surveiller les chaînes d’approvisionnement en minéraux. Ce système impose des obligations strictes de déclaration et de traçabilité pour les négociants et les producteurs de minéraux. En théorie, ces mesures sont conçues pour éviter que les minéraux ne financent les groupes armés et ne contribuent aux conflits régionaux. Lors d’une enquête menée en décembre 2019 dans le territoire de Walungu, une de territoires du Sud-Kivu, il est apparu que l’impact de la traçabilité est loin d’être bénéfique pour les habitants. La province, bien que verdoyante et pittoresque, est confrontée à des défis significatifs.
Freddy, un enquêteur de l’International Peace Information Service, et deux chercheurs de son équipe avaient mené 28 interviews et trois groupes de discussion avec des mineurs artisanaux, des négociants, des femmes qui traitent les minéraux et des responsables locaux. Les résultats révèlent des disparités notables entre les zones où la diligence raisonnable est appliquée et celles où elle ne l’est pas. Dans les zones couvertes par les programmes de diligence raisonnable (DDP), les foyers signalent une augmentation de 60% de la collecte des taxes et des services fournis par les régulateurs gouvernementaux, mais ne ressentent pas une amélioration notable de leur sécurité humaine.
Ndambuki, un négociant local expérimenté, a partagé ses frustrations quant à l’inefficacité des réformes. Selon lui, les taxes imposées par l’État, telles que les frais pour les cartes de négociant, les déclarations fiscales et les certificats de transport, ont considérablement réduit ses marges bénéficiaires. En 2019, les coûts liés aux documents d’identification et aux taxes s’élevaient à environ 860 USD, tandis que le prix de vente d’une tonne de cassitérite était de 5500 USD. Cette pression fiscale excessive laisse peu de place à la rentabilité et pousse les négociants à réduire les paiements aux mineurs artisanaux. L’application du système de traçabilité a conduit à une multiplication des taxes et frais. Par exemple, les négociants doivent payer jusqu’à 475 USD pour obtenir les cartes nécessaires et encore plus pour les déclarations fiscales et certificats de transport. Ces coûts sont transférés aux mineurs, qui se retrouvent souvent sous-payés. L’étude révèle que les ménages dans les zones avec DDP ne se sentent pas plus sécurisés que ceux des zones sans DDP, ce qui remet en question l’efficacité du programme en termes de sécurité et de bien-être des communautés locales.
De plus, la concentration des agents de l’État dans les centres de commerce des minéraux a conduit à des pratiques de taxation abusives. Les agents, tout en collectant des données sur les volumes et les flux des minéraux, semblent principalement motivés par les revenus générés par ces taxes. L’expansion des agences étatiques et la multiplication des taxes augmentent le coût de la chaîne d’approvisionnement, sans garantir des améliorations substantielles en termes de sécurité ou de services pour les communautés locales.
La traçabilité des minéraux à l’Est de la RDC, bien qu’ayant pour objectif d’améliorer la transparence et de limiter les financements des conflits, semble plutôt renforcer les structures de pouvoir existantes et augmenter les charges fiscales sur les communautés locales. Les réformes imposées par des acteurs internationaux et l’État congolais semblent favoriser la collecte de taxes au détriment de la sécurité et du bien-être des mineurs artisanaux et des négociants locaux. Les preuves suggèrent que, plutôt que de fournir une véritable protection ou de favoriser le développement local, le système de traçabilité fonctionne principalement comme un outil de contrôle et d’extraction des ressources pour des intérêts extérieurs. La réalité sur le terrain démontre un écart préoccupant entre les intentions affichées et les résultats concrets de ces politiques internationales.
kilalopress