Kinshasa, juin 2025 — En République démocratique du Congo, la faune sauvage fait face à une série de défis complexes : braconnage intensif, destruction de l’habitat naturel, absence de cadre légal cohérent, conflits croissants entre populations et espèces sauvages, risques sanitaires liés aux zoonoses, et exploitation non réglementée de la viande de brousse. Ces enjeux ne sont pas nouveaux, mais leur intensité, combinée à l’absence d’un encadrement politique adapté, place la biodiversité congolaise dans une situation critique. Pour y remédier, le gouvernement a initié une réforme majeure, avec l’élaboration d’une politique nationale dédiée à la faune sauvage.
Le 29 mai 2025 une première réunion du comité de pilotage s’est tenue à hilton hotel de Kinshasa, marquant le point de départ d’un processus de transformation ambitieux. Jusqu’à présent, la RDC ne disposait que d’un unique texte encadrant la chasse, centré sur les autorisations plutôt que sur une gestion intégrée et durable des ressources fauniques. Floribert Nyamwoga, coordonnateur de la task force sur la réforme de la faune sauvage, souligne :
« Jusqu’ici, nous ne savons pas si la viande vendue sur les marchés vient de circuits légaux ou illégaux. Elle est omniprésente dans l’alimentation congolaise, mais sans cadre de traçabilité ni contrôle. » La future politique entend justement créer ce cadre structurant. En plus de reconnaître le rôle de la faune sauvage dans la sécurité alimentaire, elle vise à réguler son exploitation, prévenir les conflits entre humains et animaux, et limiter les risques de transmission de maladies.

Le comité de pilotage mis en place rassemble les ministères sectoriels concernés (environnement, agriculture, aménagement du territoire, foncier, etc.), la société civile, les peuples autochtones, le secteur privé, les autorités traditionnelles, ainsi que les bailleurs internationaux présents comme observateurs. Les institutions universitaires, initialement absentes, sont désormais intégrées au comité technique, garantissant un appui scientifique aux orientations politiques.L’enjeu n’est pas seulement écologique : cette réforme pourrait impacter directement la vie de millions de Congolais. La faune sauvage contribue à l’alimentation, à l’économie rurale, à la culture, et représente un potentiel touristique encore inexploité.
Floribert Nyamwoga insiste sur l’importance de cette politique pour les zones à usage multiple : « Que se passe-t-il quand une concession forestière détruit l’habitat d’espèces protégées ? Ou quand une concession minière s’installe sur un territoire riche en faune ? Aujourd’hui, aucune loi n’encadre ces interactions. » La nouvelle politique permettra de renforcer les exigences environnementales pour chaque type de concession (forestière, agricole, minière), en intégrant la protection de la faune dans les procédures d’attribution et d’exploitation.
Par ailleurs, elle prévoit d’encadrer les parcs animaliers privés, aujourd’hui laissés dans un flou juridique total. « Si un propriétaire abandonne son parc, que devient la faune qui y vit ? Quel est le statut de ces animaux, de ces terres ? Rien n’est prévu, et cela doit changer », alerte Nyamwoga.
En pratique, les bénéficiaires de cette politique seront multiples : Les jeunes et les entrepreneurs, via le développement de chaînes de valeur autour de la biodiversité (tourisme, artisanat, élevage de gibier, services écologiques). Les communautés rurales, qui bénéficieront de mécanismes de gestion durable, de soutien aux activités alternatives (écotourisme, élevage, agriculture agroécologique). Les peuples autochtones, dont les droits et savoirs traditionnels en lien avec la faune seront mieux reconnus.
Les autorités locales, qui auront un cadre légal pour intervenir dans la prévention des conflits homme-faune. Malgré l’enthousiasme, des critiques ont émergé, notamment sur la composition initiale du comité de pilotage, jugée incomplète. La principale inquiétude concernait l’absence d’institutions universitaires. Mais selon les responsables de la réforme, cette lacune a été comblée via leur intégration au cadre technique où se déroule l’essentiel de la réflexion et de l’expertise scientifique.
« Il ne faut pas s’arrêter au comité du pilotage. C’est dans le cadre technique que les solutions prennent forme avant d’être validées », explique Nyamwoga.

Le processus est également fondé sur une approche participative, dans un esprit de législation progressive, où chaque vide identifié donne lieu à une réforme ciblée. La faune sauvage étant au croisement de multiples intérêts et conventions internationales, elle ne peut plus rester un sujet secondaire ou une sous-catégorie dans d’autres lois sectorielles.La RDC dispose d’un capital écologique unique au monde, mais trop longtemps laissé à la marge des politiques publiques. La mise en place d’une politique spécifique sur la faune sauvage marque une étape cruciale pour combler les vides juridiques, répondre aux enjeux de santé publique, et surtout valoriser durablement un patrimoine naturel au service du développement.
Alors que les regards sont tournés vers le comité de pilotage, le véritable défi sera dans la mise en œuvre, la cohérence intersectorielle et la capacité à traduire cette vision en impacts concrets pour les communautés. Si cette réforme tient ses promesses, elle pourrait devenir un modèle de gouvernance écologique en Afrique centrale.
Par Franck zongwe Lukama