Plus de 50 tonnes d’or, soit plus de 5 milliards de dollars américains, disparaissent chaque année de l’Est de la République Démocratique du Congo, comme par magie, dans des exportations frauduleuses qui échappent au contrôle de l’État. Ce chiffre vertigineux a été révélé par Joseph Kazibaziba, directeur général de DRC Gold Trading SA, lors d’une conférence à Kinshasa le 13 novembre. D’une façon bien commode, l’homme d’affaires a pointé du doigt l’ampleur du fléau, tout en vantant le rôle clé de sa société pour redresser ce secteur crucial. Mais cette annonce soulève une question essentielle : pourquoi, après toutes ces années, l’État congolais semble-t-il impuissant face à un tel pillage systématique de ses ressources naturelles ?
La fraude, qui semble être le sport national dans l’est du pays, n’est plus une surprise. En effet, l’or congolais, produit de manière artisanale dans les mines du Kivu et de l’Ituri, est détourné en masse, vendu sous le manteau et exporté par des circuits informels, échappant ainsi à l’économie formelle et aux taxes de l’État. Avec 50 tonnes d’or qui se volatilisent chaque année, l’ampleur du marché noir dans ce secteur dépasse l’imagination. Ce phénomène, bien que dénoncé par Kazibaziba, est en réalité un secret de Polichinelle. Les petites mains qui creusent la terre n’en sont pas les seuls responsables. Les cartels locaux, les groupes armés, les fonctionnaires corrompus, et même des multinationales complices, font partie d’un réseau tentaculaire qui siphonne les richesses du sous-sol congolais.
La sortie médiatique de DRC Gold Trading SA, récemment rebaptisée pour marquer une nouvelle ère (et probablement redorer son image), se veut une réponse à cette fraude endémique. Mais soyons clairs : l’idée d’un acteur privé, aussi proche de l’État, se proposant de « canaliser » l’or congolais est une pure illusion de régulation. Kazibaziba insiste sur le fait que sa société, désormais contrôlée à 55% par l’État congolais, est la clé d’un renversement de cette tendance. Pourtant, à l’instar des autres projets d’État dans ce secteur, le contrôle étatique sur ce marché semble davantage théorique que pratique.
Le changement de dénomination de la société (anciennement Primera Gold), en soi, ne semble rien d’autre qu’une opération de communication. Un simple lifting, sans substance. Le fait que l’État détienne une majorité des parts de DRC Gold Trading ne fait pas de cette entreprise un modèle de gouvernance transparente. Le secteur minier congolais a toujours été un terrain de jeux pour les prédateurs locaux et internationaux. De la Gécamines aux partenariats publics-privés, l’histoire a montré que ces entités ne sont souvent que des instruments pour perpétuer des pratiques opaques et permettre à des élites politiques et économiques de se remplir les poches sur le dos des Congolais.
Mais Kazibaziba semble serein. Pour lui, l’exemple d’une gestion de l’or par un acteur national serait porteur d’espoir. « Si les Congolais le veulent, nous pouvons mieux faire que les partenariats étrangers », déclare-t-il, en appelant à un patriotisme économique. L’appel est séduisant, mais il est difficile de voir comment un État aux mains d’élites corrompues pourra gérer ce secteur autrement que par la connivence et la fraude.
La gestion de l’or par DRC Gold Trading SA, un projet qui pèse désormais plus de 50 millions USD, laisse une question sans réponse : qui va réellement bénéficier de cette manne dorée ? Les populations locales, qui vivent dans une pauvreté extrême malgré la richesse de leur sol, ou les acteurs politiques et économiques qui contrôlent l’accès à cette ressource ? L’Histoire a prouvé que ce sont rarement les Congolais ordinaires qui profitent des richesses naturelles de leur pays.
La lutte contre l’exportation frauduleuse de l’or n’est pas un défi « énorme », comme le suggère Kazibaziba. C’est une farce. Les solutions existent, mais l’État congolais semble à ce jour incapacité à les mettre en œuvre efficacement. Pourquoi ? Parce qu’une complicité tacite lie de nombreux acteurs – à la fois locaux et internationaux – dans ce système. Les exportations frauduleuses d’or sont bien plus qu’un simple problème économique. Elles sont le symptôme d’une corruption omniprésente, d’une gestion des ressources naturelles qui profite avant tout à une élite prédatrice.
Si l’on veut véritablement combattre cette fraude, il faudrait une volonté politique forte et une transformation radicale de la manière dont les ressources minières sont gérées en République Démocratique du Congo. Mais force est de constater que la volonté politique fait cruellement défaut. En attendant, l’or de la RDC continuera de s’évaporer, transformé en une richesse qui n’enrichit que ceux qui n’en ont pas besoin.
Par kilalopress