Une nouvelle guerre des pouvoirs semble éclater autour d’un projet phare du Congo, le complexe hydroélectrique d’Inga 3. Le DG de la SNEL SA, Fabrice Lusinde, a récemment fait des déclarations qui pourraient bien venir secouer l’édifice politique et énergétique de la République Démocratique du Congo. Lors de sa participation au Forum Makutano en novembre 2024, il a proposé la création d’une société de projet Inga 3 et a insisté sur la nécessité de lancer immédiatement la phase 1 du programme, en commençant par la construction du barrage de la Bundi et de l’usine Inga 3. Pour Lusinde, il serait “rationnel” de débuter ce gigantesque chantier qui, selon ses projections, pourrait prendre entre 5 et 6 ans à réaliser.
Mais derrière cette proposition, une question de taille émerge : est-ce un simple appel à la raison ou un défi ouvert au président Félix Tshisekedi et à son gouvernement ? En effet, le projet Inga 3 semble être dans un état de paralysie depuis trop longtemps, et la gestion de ce dernier, bien qu’ambitieuse sur le papier, donne l’impression d’un enchaînement de promesses non tenues.
Les propos de Lusinde soulèvent une ambiguïté qui ne manquera pas de faire grincer des dents à Kinshasa : qui gouverne réellement ce projet ? Si, de manière officielle, le président Tshisekedi est censé être à la tête du dossier, les faits montrent qu’il semble de plus en plus éloigné des négociations. Depuis son accession à la présidence, plusieurs changements de partenaires et de stratégies ont eu lieu, avec des acteurs comme les Chinois, les Sud-Coréens et les Allemands, mais aucun d’entre eux n’a apporté de résultats tangibles. La Banque mondiale, à son tour, semble se chercher encore, un signe évident de l’incapacité à structurer un financement viable. En 2024, Albert Zeufack, directeur des opérations de la Banque mondiale pour la RDC, a d’ailleurs indiqué que “le rôle de la Banque mondiale est de réunir tous les partenaires du développement” et de structurer le financement du projet, tout en précisant que la banque avait été sollicitée par le président Tshisekedi lui-même. Mais après des années de négociations, où en sommes-nous réellement ?
Ce marasme laisse penser que le projet Inga 3 n’est pas seulement dans une phase de transition mais bel et bien dans un état de coma prolongé. Si l’on en croit les chiffres et les témoignages, aucune avancée significative n’a été réalisée depuis la signature des premiers accords en 2018 entre la RDC et les consortiums China Inga 3 et Pro-Inga. La question qui se pose désormais est celle du contrôle de ce projet : si le président Tshisekedi est censé en être le maître d’œuvre, pourquoi ce projet n’avance-t-il toujours pas ?
La situation semble d’autant plus déroutante au regard de la Constitution congolaise. L’article 213 de cette dernière confère au président de la République un pouvoir quasi absolu en matière de négociation et de ratification des accords internationaux. En d’autres termes, la Constitution fait du chef de l’État l’unique décisionnaire en ce qui concerne les grands projets comme Inga 3, reléguant le gouvernement à un rôle purement consultatif. En 2024, la confusion devient encore plus manifeste avec la position de Fabrice Lusinde, qui semble remettre en cause le rôle des ministres, notamment celui du ministre de l’Énergie, Teddy Lwamba, et de ses homologues.
Lusinde, en tant que DG de la SNEL, est-il en train de se présenter comme le véritable patron du projet Inga 3, face à un président de la République qui semble avoir perdu la main sur ce dossier stratégique ? En tout cas, cette situation soulève des tensions : si le gouvernement semble totalement marginalisé dans ce processus, comment expliquer l’immobilisme qui persiste autour du projet depuis plusieurs années ?
Pour illustrer ce climat de confusion, on pourrait citer le cas de Guylain Nyembo, vice-Premier ministre et ministre du Plan, qui, dans une rencontre avec la Banque mondiale fin septembre 2024, a confirmé que l’institution financière “cherche encore” une solution de financement. Pourtant, comme le stipule l’ordonnance n°08/073 du 24 décembre 2008, les ministres sont censés être les exécutants des décisions présidentielles, et non des acteurs décisionnels. Nyembo, comme Teddy Lwamba et d’autres membres du gouvernement, se trouvent donc dans une situation paradoxale : à la fois responsables du suivi du projet et enfermés dans un rôle secondaire, comme de simples assistants du président de la République. Cela soulève des questions cruciales : si le ministre Lwamba ne joue qu’un rôle de figurant, alors qui prend les décisions ? Et surtout, pourquoi un technocrate comme Lusinde semble se donner le droit de prendre à bras-le-corps un projet d’une telle envergure sans se soucier des autorités politiques ?
Certains analystes n’hésitent pas à pointer du doigt les dérives de cette structure de pouvoir. La Constitution, telle qu’elle est rédigée, accorde au président une immunité presque totale, le mettant à l’abri de toute véritable responsabilité devant les autres branches du gouvernement et de l’État. Le paradoxe est flagrant : bien que le président ait signé des accords internationaux pour Inga 3, il n’a jamais été contraint de s’expliquer devant le parlement, ni de rendre des comptes sur l’avancement du projet. Le cas de Bruno Kapandji, chargé de mission à l’ADPI, est symptomatique de cette dérive : son silence total depuis six ans soulève des interrogations sur la véritable volonté politique d’aller de l’avant. Si l’énergie est un facteur de développement, comme le soutiennent tous les experts, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la RDC peut réellement avancer dans la modernisation de son secteur énergétique avec une Constitution qui semble entraver toute forme de responsabilité et de transparence. Les critiques pleuvent sur une loi fondamentale jugée “rétrograde” et “inefficace” pour le développement du pays. La question de la révision constitutionnelle devient ainsi de plus en plus pressante, notamment pour permettre un véritable pilotage des projets d’envergure, tels qu’Inga 3, qui sont essentiels pour l’avenir de la RDC.
Certains analystes et techniciens affirment qu’il est clair que, tant que le président restera à l’abri de toute remise en cause de ses décisions, l’avenir d’Inga 3 et du pays tout entier demeurera incertain. Entre la paralysie du gouvernement, l’incapacité à mobiliser les financements et un manque flagrant de coordination, la RDC se dirige-t-elle vers un grand projet énergique qui pourrait bien ne jamais voir le jour ? Le temps des compromissions semble révolu.
Par kilalopress