À Madrid, Guylain Nyembo exige la reconnaissance des 155 millions d’hectares de forêts congolaises comme bien commun planétaire

À Madrid, entre les dorures d’un palais de conférence et l’urgence climatique suspendue aux débats feutrés, un homme s’est levé, non pour supplier, mais pour exiger. Le vice-Premier ministre de la République Démocratique du Congo, Guylain Nyembo, a rompu le rythme convenu de la 4ᵉ Conférence Internationale sur le Financement du Développement. Face aux décideurs réunis du 30 juin au 3 juillet 2025, il n’a pas parlé d’aide, mais de dette. Pas d’assistance, mais de reconnaissance. Car derrière ses mots, ce sont 155 millions d’hectares de forêt tropicale humide – le cœur du bassin du Congo – qui réclament réparation.

« Ces écosystèmes ne sont pas seulement un patrimoine mondial, mais des biens communs de l’humanité. » En une phrase, le ministre congolais a posé les fondations d’un renversement de paradigme. Cette forêt, second puits de carbone planétaire après l’Amazonie, capte à elle seule plus de 60 % du CO₂ africain. Une machine naturelle qui ralentit le dérèglement climatique pour l’ensemble de la planète. Pourtant, elle ne vaut presque rien dans les calculs froids des marchés carbone.

L’angle technique du discours congolais est sans ambiguïté : les mécanismes actuels de crédits carbone sont fondamentalement biaisés. Pensés dans des centres de pouvoir éloignés des réalités tropicales, ils rémunèrent à peine les pays qui protègent activement leurs écosystèmes, tout en permettant aux grands pollueurs du Nord d’acheter leur bonne conscience. Pire, ces crédits sont souvent attribués selon des critères technocratiques, inaccessibles pour des États comme la RDC, qui peinent à répondre aux conditionnalités imposées.

Nyembo a dénoncé sans détour ces conditions paralysantes : « Ces conditions difficiles freinent l’implémentation des politiques alignées sur nos priorités locales ». Un message clair : la finance climatique ne doit plus être un levier de domination, mais un instrument de rééquilibrage. Derrière ce plaidoyer, c’est toute une remise en cause de la gouvernance environnementale mondiale qui s’esquisse. Car au fond, de quoi parle-t-on ? D’un pays classé parmi les plus pauvres du monde, mais qui possède une des richesses écologiques les plus précieuses de la planète, laissé en marge des flux financiers censés préserver ce patrimoine.

La RDC n’est pas venue quémander. Elle est venue rappeler à l’ordre. Car chaque hectare de forêt congolais non déforesté est un investissement global. Pourtant, aucune bourse climatique n’en reconnaît pleinement la valeur. Et lorsqu’un État africain ose se dresser pour réclamer un juste prix, il se heurte à une architecture financière internationale figée dans les rapports postcoloniaux. Nyembo ne s’est pas contenté de pointer du doigt les dispositifs en place. Il a proposé une refonte. Radicale. Une fiscalité mondiale plus juste. Une taxation des multinationales polluantes. Une représentation accrue de l’Afrique dans les institutions financières et au Conseil de sécurité de l’ONU. Et surtout, la fin des politiques d’austérité imposées en échange de financements climatiques.

Ce que la RDC propose, c’est une révolution dans la manière même de penser la coopération Nord-Sud. Non plus comme un transfert vertical de ressources, mais comme une négociation entre partenaires porteurs de responsabilités partagées. Le concept de justice climatique, si souvent galvaudé, prend ici tout son sens : reconnaître la valeur économique d’un service écosystémique, et la rémunérer équitablement.

Dans les coulisses de la conférence, certains diplomates murmurent que le ton du ministre congolais était « trop frontal ». D’autres saluent une prise de parole « enfin à la hauteur des enjeux ». Ce qui est sûr, c’est que le message a marqué. Les salles latérales bruissent de termes rarement entendus avec autant de clarté : rééquilibrage, souveraineté écologique, dette climatique.

Mais au-delà du discours, une question demeure : les puissances financières du Nord sont-elles prêtes à accepter de redistribuer autrement leur puissance ? Car ce que demande la RDC, c’est bien plus qu’une compensation. C’est un changement de logiciel. Une révolution tranquille, mais inévitable. Et qui pourrait, si elle se concrétise, redessiner la carte des alliances géopolitiques autour des biens communs planétaires. Loin des projecteurs, la forêt congolaise continue, elle, de capturer du carbone. En silence. Pour combien de temps encore ?

Par kilalopress

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