Kinshasa, capitale des déchets : quand la politique d’assainissement tourne en rond

Par Kilalopress – Kinshasa, mégapole de plus de quinze millions d’âmes, continue de suffoquer sous ses propres déchets pendant que les discours d’assainissement se répètent comme une chanson rayée. Ce samedi 1er novembre 2025, le gouverneur Daniel Bumba a réuni les conseils communaux pour, une fois de plus, « mobiliser » autour du programme Kinshasa ezo Bonga. Mais derrière les mots, le même décor : des montagnes d’ordures, des caniveaux bouchés, des sacs plastiques qui dansent au vent comme des drapeaux d’un pays en détresse écologique.

Kinshasa ezo Bonga ? Vraiment ? Les Kinois, eux, voient surtout Kinshasa ezo Bomba mbindo — une capitale qui cache ses ordures sous les discours. Depuis vingt ans, chaque gouverneur promet de « moderniser la ville » et de « redynamiser Salongo ». Pourtant, la logique reste archaïque, fondée sur des opérations ponctuelles de balayage plutôt que sur une vision stratégique de la gestion intégrée des déchets. Aucune filière claire de tri, de recyclage ou de valorisation énergétique. Aucune planification urbaine pour anticiper la croissance démographique et la production exponentielle de plastiques. Aucune transparence non plus sur les budgets d’assainissement, souvent engloutis dans les labyrinthes administratifs des communes.

Et voilà qu’on nous parle encore de « mobilisation ». Mobiliser pour faire quoi, au juste ? Ramasser à la main ce que les industries plastiques continuent de déverser impunément ? Rejouer chaque samedi le théâtre du Salongo pendant que les marchés, les égouts et les rivières se transforment en décharges à ciel ouvert ?

Kinshasa étouffe dans le plastique. Chaque bouteille, chaque sachet, chaque emballage abandonné raconte l’échec d’un État à réguler, à recycler, à responsabiliser. Pendant que d’autres capitales africaines — Kigali, Nairobi, Dakar — imposent des interdictions ou des taxes strictes sur les plastiques à usage unique, Kinshasa hésite, tergiverse, comme si le plastique était un partenaire économique plutôt qu’un ennemi écologique.

Où est la loi ? Pourquoi les grandes sociétés importatrices et distributrices de plastiques n’ont-elles aucune obligation de reprise, de recyclage ou de participation au nettoyage ? Où sont passés les textes d’application de la politique nationale de gestion des déchets, votée à grands cris mais restée dans les tiroirs ?

La REGEDEK, chargée de la collecte, travaille sans infrastructures adaptées : pas de centres de tri, pas de logistique durable. La DGMK, quant à elle, ramasse les ordures des marchés sans système de valorisation. Résultat : des tonnes de déchets finissent dans le fleuve Congo, dans les rivières Ndjili et Funa, ou directement dans les rues. Et le gouvernement provincial parle encore de « modernité ». Quelle modernité, dans une ville où le plastique remplace les pavés ?

Pendant ce temps, les partenariats autour de la problématique des déchets se multiplient, les réunions budgétivores se succèdent, les banderoles de projets “verts” fleurissent aux carrefours… mais la salubrité, elle, reste un mirage. Chaque jour, dans des quartiers comme Changu, Masina, Selembao ou Ngiri Ngiri, des enfants meurent de maladies liées à l’insalubrité : typhoïde, choléra, infections respiratoires. Les slogans de “ville propre” se fanent au soleil pendant que les mouches prospèrent sur les tas d’ordures. Les financements tombent, les ONG se réunissent, les hôtels s’emplissent — mais la ville, elle, continue de pourrir à ciel ouvert.

Et comme si la nature elle-même voulait rappeler l’urgence, la première forte pluie de la saison a donné la sentence. Le samedi dernier, une pluie pourtant “modeste” sur Kasa-Vubu et Ngiri-Ngiri a suffi à paralyser des artères entières. Les routes fraîchement réhabilitées se sont transformées en rivières, les caniveaux ont débordé, emportant avec eux sacs plastiques et espoirs de modernité. Aujourd’hui, une nouvelle pluie s’annonce, et déjà, les dégâts sont à craindre. Les travaux routiers, engloutis par la boue, révèlent ce que tout le monde sait mais que personne n’ose dire : Kinshasa n’est pas prête à recevoir la pluie.

Le vrai drame de Kinshasa n’est pas le manque de moyens, mais le manque de vision. La gouvernance de l’assainissement est devenue un slogan politique, pas une politique publique. Les institutions se multiplient — REGEDEK, DGMK, Salongo, comités de quartiers — sans coordination, sans indicateurs de performance, sans reddition de comptes. On parle d’“impliquer les communes”, mais aucune ne dispose de budget autonome ni de plan de gestion locale des déchets. À qui appartient la saleté ? Si tout le monde est responsable, alors personne ne l’est vraiment.

Il est temps de parler franchement : le Salongo est mort. Il ne ressuscitera pas avec des discours, mais avec des politiques structurantes. Kinshasa a besoin d’un plan directeur d’assainissement, avec des objectifs mesurables, des partenariats publics-privés, et surtout, une réforme légale imposant la responsabilité élargie du producteur.

C’est cela, la vraie mobilisation : forcer les importateurs de plastique à financer leur collecte ; appuyer les entrepreneurs locaux du recyclage ; sanctionner les communes qui transforment les caniveaux en dépotoirs ; former les Kinois, dès l’école, à la culture de la propreté comme valeur civique et non comme corvée. Car une ville moderne ne se nettoie pas à coups de slogans, mais à coups de courage politique. Et tant que Kinshasa continuera de confondre nettoyage et communication, ses ordures, elles, continueront de voter chaque jour contre la crédibilité de ceux qui prétendent la gouverner.

Par kilalopress

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