Kinshasa, le 24 février 2025 — Dans un coup de théâtre économique, la République Démocratique du Congo (RDC), géant incontesté du cobalt, a décidé de suspendre ses exportations de ce métal stratégique pour quatre mois. Une mesure radicale, est entrée en vigueur le samedi 22 février 2025, visant à endiguer un surplus qui écrase les prix et fragilise l’économie nationale. Mais derrière cette décision se cachent des enjeux bien plus sombres : exploitation effrénée, dépendance aux capitaux étrangers, et une course au « vert » qui sacrifie les populations locales sur l’autel des batteries électriques.
Avec près de 75 % de l’approvisionnement mondial, la RDC est le poumon invisible de la transition énergétique. Pourtant, cette richesse minière se transforme en malédiction. Alors que les géants de l’automobile électrique promettent un avenir « zéro émission », les mines congolaises, dominées par la société chinoise CMOC, tournent à plein régime, alimentant un marché saturé. Résultat : une chute vertigineuse des prix, de 40 % depuis 2023 selon les analystes. « Cette suspension était nécessaire pour rééquilibrer l’offre », explique Patrick Luabeya, président de l’Autorité de régulation des marchés miniers. Un euphémisme, alors que des milliers de creuseurs artisanaux survivent dans des conditions inhumaines, loin des bénéfices tirés par les multinationales. L’expansion agressive de CMOC, accusée d’avoir inondé le marché via ses deux méga-mines de Tenke et Fungurume, est pointée du doigt. Entre 2022 et 2025, sa production a bondi de 60 %, écrasant les prix et forçant Kinshasa à réagir. « Comment la RDC peut-elle prétendre contrôler son destin minier quand un seul acteur étranger dicte les règles ? », s’interroge un économiste congolais sous couvert d’anonymat. Une question d’autant plus criante que le cuivre, autre ressource majeure du pays, reste épargné par l’embargo — hasard ou calcul pour protéger des intérêts spécifiques ?
Si la mesure fait sourire les marchés, elle révèle une hypocrisie systémique. Alors que la demande mondiale en cobalt devrait exploser avec l’essor des véhicules électriques, la RDC, paradoxalement, doit freiner sa production pour éviter l’asphyxie financière. Pendant ce temps, plus de 11 000 entreprises locales échapperaient au fisc, selon un récent rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). Une hémorragie fiscale qui prive l’État de ressources vitales, dans un contexte de guerre d’agression et de pressions accrues du FMI pour assainir les finances publiques. La conférence sur les mines et l’énergie dans le Maniema, évoquée comme une lueur d’espoir, peine à masquer l’urgence. Les retombées promises — infrastructures, emplois — restent lettre morte pour des communautés riveraines des mines, confrontées à la pollution et à l’expropriation. « On parle de batteries propres, mais chez nous, c’est la terre qui meurt », témoigne une activiste locale. En suspendant ses exportations, la RDC tente de reprendre le contrôle d’un marché qu’elle alimente à 75 %. Mais cette pause est-elle autre chose qu’un sparadrap sur une fracture béante ? Sans réforme structurelle — taxation équitable, régulation des exploitants étrangers, soutien aux mineurs artisanaux —, le pays risque de rester un réservoir de matières premières, pillé au nom d’une transition écologique… à deux vitesses.
Alors que les cours des autres minerais congolais grimpent cette semaine, le cobalt, lui, symbolise une équation insoluble : comment profiter d’une richesse nationale sans en être esclave ? La réponse, si elle existe, devra aller bien au-delà d’un simple embargo temporaire.
Par kilalopress