Alors que la République démocratique du Congo s’apprête à ouvrir des dizaines de nouveaux blocs pétroliers en plein cœur de la forêt du bassin du Congo, la planète retient son souffle. Ce choix politique menace l’un des plus grands puits de carbone du monde, tout en aggravant les inégalités, les conflits et les crises humanitaires dans la région. Dans une tribune de Babawale Obayanju, stratège de campagne pour Oil Change International, lance un appel clair : il est encore temps de choisir la vie, la justice et la souveraineté énergétique face à l’impasse fossile.
La République démocratique du Congo (RDC) est l’un des pays les plus riches du monde en biodiversité. Elle abrite plus de la moitié de la forêt tropicale du bassin du Congo — le deuxième plus grand puits de carbone de la planète après l’Amazonie — et des tourbières qui stockent environ 30 gigatonnes de carbone. Ce patrimoine écologique, vital pour la stabilité climatique mondiale, est aujourd’hui menacé par l’expansion de l’industrie pétrolière. En 2022, le gouvernement congolais a ouvert un appel d’offres pour 52 nouveaux blocs pétroliers et gaziers, y compris dans des zones de tourbières et de réserves naturelles. Cette décision relance le risque d’exploitation intensive au sein de l’un des écosystèmes les plus fragiles au monde, au moment où les scientifiques et les défenseurs du climat appellent à la sortie urgente des énergies fossiles.
L’extraction de pétrole en RDC ne date pas d’hier, mais ses conséquences sont de plus en plus visibles. Déjà, des projets existants ont entraîné des déplacements forcés de populations, des conflits autour de la terre, la destruction d’habitats naturels et la pollution de rivières. Les bénéfices ? Ils sont largement captés par des multinationales et des élites locales, tandis que les communautés locales voient leur environnement détruit et leurs conditions de vie se détériorer. Au cœur de cette nouvelle ruée vers l’or noir se trouvent deux zones critiques : la Cuvette Centrale et le Albertine Graben, à la frontière entre la RDC, l’Ouganda et le Sud-Soudan. Côté ougandais, les compagnies TotalEnergies et CNOOC développent déjà les champs de Tilenga et Kingfisher, reliés au controversé oléoduc EACOP (East African Crude Oil Pipeline). Cet oléoduc géant traversera des zones protégées jusqu’à la côte tanzanienne, menaçant des écosystèmes entiers. L’exploitation des blocs côté congolais dépendra probablement de ce mégaprojet. Mais au lieu de favoriser le développement, ce type d’investissement risque surtout de renforcer l’endettement, d’accroître les inégalités et de fragiliser davantage les écosystèmes.
Il faut rappeler un fait : l’Afrique n’a émis qu’environ 2 % des émissions historiques mondiales de gaz à effet de serre. Pourtant, elle est l’un des continents les plus exposés aux impacts du changement climatique. En RDC, les provinces du Nord-Kivu, de l’Ituri et du Sud-Kivu subissent déjà les effets conjoints des dérèglements climatiques et des conflits armés alimentés par les intérêts autour des ressources naturelles. Plus de 7 millions de personnes y ont été déplacées, et 23,4 millions de Congolais souffrent actuellement d’insécurité alimentaire.
Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables. Les données de l’ONU font état d’une augmentation de 30 % des violations graves contre les enfants au premier trimestre 2024 par rapport à fin 2023. Dans ce contexte, continuer à miser sur les énergies fossiles, c’est nourrir une spirale de pauvreté, de violence et d’injustice.
Les projets pétroliers et gaziers ne profitent pas durablement aux populations africaines. Comme le montre le rapport *The Sky’s Limit Africa* publié par Oil Change International, ces projets renforcent la dépendance économique, alimentent la corruption et privent les populations de leur souveraineté sur leurs terres et leurs ressources. Face à cela, une autre voie est possible. Les énergies renouvelables décentralisées — solaires, éoliennes, communautaires — créent jusqu’à cinq fois plus d’emplois par dollar investi que les fossiles. Elles soutiennent les économies locales, respectent les écosystèmes et renforcent la résilience des communautés. En solidarité avec les peuples congolais et les défenseurs de la forêt, au niveau international lancent un appel a la communauté internationale, les bailleurs et les institutions régionales à :
1. Mettre en place un moratoire immédiat sur le développement de nouveaux projets fossiles dans le bassin du Congo ;
2. Adopter des protections juridiques contraignantes pour les communautés autochtones et locales ;
3. Financer des transitions énergétiques justes et une adaptation aux effets climatiques ;
4. Faire rendre des comptes aux entreprises responsables de violations des droits humains et de destruction environnementale.
La RDC n’est pas un terrain vague pour les ambitions des puissances extractives. C’est un poumon vert de la planète, un territoire de dignité, de résistance et de vie. Le monde doit choisir : allons-nous continuer à sacrifier les forêts africaines pour quelques années de profit, ou allons-nous enfin protéger ce qui reste, pour ceux qui sont là — et pour ceux qui viendront ?
Par Kilalopress