Kinshasa, 27 juin 2025. La Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes en RDC (CORAP), en partenariat avec plusieurs mouvements citoyens africains, a clôturé à Kinshasa la première édition du Forum continental africain sur les méga-barrages et la crise climatique. Pendant plusieurs jours, acteurs communautaires, experts, leaders traditionnels, jeunes et femmes venus de plus de 15 pays africains ont débattu des impacts des grands projets hydroélectriques sur les droits humains, l’environnement et les souverainetés locales. En point d’orgue : l’adoption d’une Déclaration finale forte, posant les bases d’un contre-pouvoir climatique citoyen panafricain.
Trois jours d’échanges intenses, d’alertes lucides, d’espoir contagieux, et au final, une déclaration forte, presque manifeste, portée à la face du monde. C’est ce qui s’est joué dans la capitale congolaise, lors du premier Forum continental africain sur les méga-barrages et la crise climatique. L’événement, inédit par son envergure et sa portée politique, marque un tournant dans la manière dont l’Afrique veut désormais écrire elle-même les chapitres de son avenir environnemental.
Tout a commencé sur fond d’inquiétude : celle de voir le continent devenir une « zone d’essai » pour des technologies climatiques présentées comme des solutions miracles, mais imposées sans consultation, ni ancrage local. Josué Aruna, de l’organisation Afrika Waking, a ouvert la dernière journée du forum en dénonçant la montée de la géo-ingénierie en Afrique, comme une nouvelle forme d’impérialisme climatique. « L’Afrique devient un laboratoire expérimental au détriment de sa souveraineté », a-t-il lancé. Derrière ses mots, une conviction limpide : la lutte climatique doit venir des peuples, pas leur être administrée depuis l’extérieur.

Le discours a été suivi d’un moment fort : l’intervention de David Musungayi, représentant de la CORAP, qui a présenté le Tribunal pour le Peuple, une initiative s’appuyant sur le Tribunal Permanent des Peuples créé en 1979. Son rôle ? Donner une voix juridique et morale aux communautés victimes d’extractivisme, d’accaparements de terres ou de projets énergétiques destructeurs. « Ce tribunal permet aux opprimés de témoigner devant l’histoire », a-t-il dit en reprenant une phrase célèbre de Jomo Kenyatta : « Ils nous ont appris à prier les yeux fermés, et quand nous les avons ouverts, ils avaient nos terres. »
Puis, ce fut au tour de Emmanuel Musuyu, secrétaire exécutif de la CORAP, de présenter une initiative concrète : une Caravane climatique qui sillonnera les provinces de la RDC, puis d’autres pays africains, pour renforcer la mobilisation locale, la solidarité panafricaine et la capacité d’influence politique en amont des COP. À travers quatre axes prioritaires – méga-barrages, extractivisme, pétrole/gaz et forêts – cette caravane ambitionne de devenir un catalyseur citoyen capable de peser sur les politiques publiques.
À ce stade du forum, les témoignages des délégations venues d’Amérique latine, notamment du Brésil et de Cuba, sont venus raviver les braises de la résistance globale. Leur message : internationaliser les luttes locales pour faire front à un capitalisme mondialisé qui uniformise l’exploitation et efface les résistances. Comme l’a rappelé un intervenant brésilien : « Le capital globalise l’exploitation. Nous devons globaliser la résistance. »
Puis est venue l’heure des ateliers et des débats, à l’issue desquels une déclaration finale a été rédigée, amendée collectivement, et adoptée à l’unanimité dans une salle debout, chantante, en liesse. Cette déclaration, à la fois politique et opérationnelle, trace une feuille de route claire pour les années à venir.
Les signataires — membres de communautés locales, peuples autochtones, mouvements sociaux, pêcheurs, paysans, universitaires et défenseurs des droits humains — ont d’abord reconnu la nécessité d’un accès équitable à l’électricité pour les pays africains. Mais ils ont fermement rejeté les modèles destructeurs, notamment les méga-barrages, jugés incompatibles avec la protection des ressources naturelles et les droits des populations. Ils soutiennent plutôt des alternatives responsables et durables comme les projets de petite taille, l’agroécologie, et les énergies renouvelables décentralisées.
Le texte souligne également les violations spécifiques que subissent les femmes dans ces projets : perte d’accès à l’eau, aux terres, marginalisation dans les processus d’indemnisation et d’évaluation environnementale. Ces injustices sexospécifiques doivent être corrigées de manière prioritaire.
Et surtout, les recommandations sont claires :
Aux gouvernements africains, il est exigé :
- De garantir la transparence de tous les projets énergétiques, y compris les informations financières et les études d’impact.
- D’impliquer pleinement les communautés locales à toutes les étapes des projets, selon le principe du Consentement Libre, Informé et Préalable (CLIP).
- De renforcer les cadres juridiques pour protéger les droits des populations.
- D’appliquer des mécanismes de justice réparatrice, y compris la réinstallation et la compensation.
- De mettre fin aux projets de grands barrages aux impacts irréversibles et de favoriser des solutions alternatives décentralisées.
- D’honorer les engagements climatiques internationaux, y compris les ODD et la Convention sur la diversité biologique.
- De promouvoir une gestion endogène des forêts et un développement agroécologique respectueux des savoirs locaux.
Aux communautés locales, il est recommandé :
- De ne jamais renoncer à leur droit de dire non.
- De se former sur les impacts et droits liés aux barrages.
- D’alerter dès les premiers signes de projet suspect.
- De construire des alliances communautaires fortes, incluant les femmes et les jeunes.
- De recourir aux mécanismes internationaux de reddition de comptes.
- De mettre en place des comités locaux de veille et de concertation.
Aux organisations de la société civile (OSC), les rôles à jouer sont multiples :
- Documenter les violations et alerter.
- Élaborer des stratégies de plaidoyer et d’actions collectives.
- Protéger les défenseurs de l’environnement.
- Participer aux espaces internationaux comme les COP.
- Produire des analyses accessibles et multilingues.
- Structurer le mouvement avec une gouvernance claire et des principes directeurs.
- Mobiliser des financements et nouer des partenariats alignés sur leurs valeurs.
Enfin, les institutions financières internationales sont appelées à :
- Se désengager des grands projets destructeurs.
- Respecter strictement leurs politiques sociales et environnementales.
- Rediriger les fonds vers des alternatives décentralisées.
- Impliquer les communautés dans la co-construction des stratégies pays.
- Assurer la diffusion transparente de toutes les informations aux premiers concernés.
Ce forum ne s’est pas contenté de dénoncer. Il a construit. Il a fédéré. Il a ancré l’Afrique dans une logique de résistance lucide, organisée et orientée vers la transformation. Comme l’a résumé Emmanuel Musuyu, les yeux brillants de détermination : « On ne s’attendait pas à une telle énergie. C’est une première. Mais ce n’est qu’un début. Nous voulons que l’Afrique se lève pour définir sa propre transition, ses propres solutions. »Une Afrique qui parle d’une même voix, qui refuse les fausses solutions et qui s’organise pour construire la sienne : c’est cela, la véritable transition. Et elle a commencé, ici, à Kinshasa.
Par Franck zongwe Lukama