À l’occasion de la fin de l’année 2024, Kilalopress a eu l’opportunité de s’entretenir avec Blaise Mudodosi, le Coordonnateur National de l’Organisation non gouvernementale Actions pour la Promotion et Protection des Peuples et Espèces Menacés (APEM), afin de dresser un bilan de la situation des ressources naturelles en République Démocratique du Congo (RDC) et de discuter des enjeux cruciaux à l’horizon 2025. Blaise Mudodosi revient sur les défis rencontrés, notamment dans les provinces du Haut-Uélé, du Sud-Kivu et du Tshopo, et souligne les efforts de la société civile pour défendre les droits des communautés locales face à l’exploitation des ressources naturelles.
Kilalopress : Monsieur Blaise Mudodosi, le secteur des ressources naturelles en RDC connaît des turbulences depuis plusieurs années. À l’aube de 2025, comment analysez-vous la situation, notamment au regard des réformes en cours et des défis liés à la transparence dans ce secteur ?
Blaise Mudodosi : Il est clair que notre pays traverse une période complexe, marquée par des interrogations sur la transparence, l’efficacité et le fonctionnement de l’État, notamment en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles. Les réformes engagées par le gouvernement, bien qu’essentielles, sont confrontées à une multitude de difficultés, telles que le traffic d’influence, la corruption et une gestion parfois opaque. Cependant, si l’État et les politiques font preuve de bonne foi et si les actions menées par la société civile, comme celles de notre organisation, sont renforcées, nous pouvons espérer apporter un peu plus d’ordre et de responsabilité dans la gestion de ce secteur stratégique.
Kilalopress : Récemment, 17 ressortissants chinois ont été capturés dans le Sud-Kivu, mais relâchés suite à une intervention du gouvernement. Quel est votre point de vue sur cette situation qui a beaucoup choqué l’opinion publique ?
Blaise Mudodosi : Cette situation a effectivement frappé les esprits. Les faits sont clairs : ces ressortissants chinois étaient impliqués dans des activités illégales, notamment dans l’exploitation minière, et auraient dû être traduits en justice. Cependant, des pressions politiques et des influences venues de Kinshasa ont permis leur libération, ce qui soulève des questions graves sur le fonctionnement de notre Etat et la collaboration entre les pouvoirs central et provincial. Ce cas illustre bien la justice à deux vitesses qui sévit en RDC. D’un côté, certaines personnes, souvent des étrangers, sont intouchables, tandis que leurs collaborateurs impliqués, notamment des Congolais, subissent la rigueur de la loi. Ce phénomène ne se limite pas au secteur minier ; il est aussi manifeste dans le secteur forestier, où des concessions ont été octroyées sur la base de trafics d’influence. Il est urgent de mettre fin à cette situation, qui nourrit l’impunité et l’exploitation illégale des ressources naturelles.
Kilalopress : Le Haut-Uélé connaît actuellement une situation tendue, notamment avec le déguerpissement forcé de communautés au village de Mege, sous pression du gouvernement provincial et des forces de l’ordre, pour le compte de la société Kibali Gold Mine. Quel est votre avis sur cette situation ?
Blaise Mudodosi : Ce qui se passe actuellement au Haut-Uélé est un exemple flagrant de violation des droits des communautés locales. Les communautés déplacées ne sont pas consultées, et leurs droits fonciers ne sont pas respectés. La Constitution et les lois congolaises sont claires : les communautés ont droit à une indemnisation juste et équitable lorsqu’elles sont déplacées pour des projets d’utilité publique. Mais dans ce cas, je ne crois pas que les processus légaux nécessaires ont été bien suivis. Le respect des droits des populations locales, notamment leur droit à la terre et aux ressources naturelles, doit être une priorité. C’est là où notre rôle en tant qu’organisation de la société civile est crucial : nous devons éduquer les communautés sur leurs droits et les aider à revendiquer ces droits de manière pacifique et légale.
Kilalopress : Dans la province de Tshopo, la réconciliation entre les autorités locales de Lubunga, après un conflit prolongé avec la société agro-pastorale CAP CONGO, a été saluée. Qu’en pensez-vous ?
Blaise Mudodosi : La réconciliation est un processus important, mais il ne suffit pas de signer des accords pour résoudre un conflit de manière durable. Il faut d’abord traiter les causes profondes du problème, comme les violations des droits des communautés et la mauvaise gestion des concessions foncières. Si les communautés affectées ne sont pas indemnisées ou si leurs droits ne sont pas pleinement reconnus et réparés, il est fort probable que ces tensions refassent surface à l’avenir. La justice doit être restaurée, et les réparations nécessaires doivent être effectuées pour garantir une cohabitation pacifique et durable entre Mbole et les Lengola les deux parties concernées.
Kilalopress : Quelles sont les actions concrètes mises en place par l’APEM pour aider les communautés à faire respecter leurs droits, notamment en matière d’exploitation des ressources naturelles ?
Blaise Mudodosi : L’APEM travaille directement avec les communautés à la base dans plusieurs provinces, notamment au Sud-Kivu, Tshopo, Tshuapa et à Mai-Ndombe. Nous les sensibilisons sur leurs droits et leurs obligations dans le contexte de conservation ou exploitation des ressources naturelles, qu’il s’agisse des forêts, des mines ou de la biodiversité. Nous les formons sur la manière de défendre leurs droits et de recourir aux voies légales, notamment les mécanismes de gestion des plaintes et les voies judiciaires disponibles. Nous avons constaté qu’une communauté bien informée et formée a plus de chances de faire entendre sa voix et de faire respecter ses droits. Nous travaillons également à renforcer les capacités de plaidoyer des communautés, car un plaidoyer porté par les populations elles-mêmes est toujours plus puissant et crédible que celui porté par les intermédiaires.
Kilalopress : Un message pour les communautés que vous soutenez en cette fin d’année 2024 ?
Blaise Mudodosi : 2024 a été une année pleine de défis, mais aussi de victoires. Les communautés que nous soutenons commencent à mieux comprendre leurs droits, et les efforts que nous menons pour les aider à les défendre commencent à porter des fruits. En 2025, nous continuerons à les accompagner, car nous croyons fermement qu’un développement durable ne peut exister sans une gestion responsable et participative des ressources naturelles, et sans que les communautés locales ne soient au cœur de ce processus. Nous les encourageons à rester unies, à défendre leurs pacifiquement leurs droits en recourant aux voies légales et à continuer de revendiquer la justice. Un développement sans eux n’est pas un véritable développement. Nous devons nous soutenir mutuellement pour avancer vers un avenir où les ressources naturelles profitent à tous, sans détruire l’environnement ni bafouer les droits des peuples autochtones.
Kilalopress : Merci beaucoup pour cet entretien, Monsieur Mudodosi. Nous vous souhaitons une excellente fin d’année et beaucoup de succès dans vos actions en 2025.
Blaise Mudodosi : Merci à vous, et je tiens à remercier toutes les communautés locales et peuples autochtones avec lesquelles nous collaborons. Ensemble, nous pouvons changer les défis en opportunités. Continuons à lutter pour un avenir plus juste et plus équitable.
À l’aube de 2025, les attentes restent fortes quant à la mise en œuvre des réformes et à la justice pour tous.
Par kilalopress