KINSHASA : Deux protocoles, 300 millions… et toujours pas de boussole écologique 

Le jeudi 17 avril 2025, l’Unité de Coordination du Programme d’Investissement pour la Forêt (UC-PIF) signait en grande pompe deux protocoles d’accord avec l’Agence Nationale de l’Électrification et des Services Énergétiques en milieu rural et périurbain (ANSER) et l’Agence Congolaise de l’Environnement (ACE). À première vue, l’initiative semble noble : promouvoir des solutions de cuisson propres et renforcer les capacités de gestion environnementale, dans le cadre du Programme d’Investissement pour la Forêt et la Restauration des Savanes (PIFORES).

Mais derrière les chiffres impressionnants – un financement de 300 millions de dollars, dont 290 millions de l’IDA (Banque mondiale) – et les discours protocolaires, un constat s’impose : ce programme est structurellement bancal, politiquement aveugle, et écologiquement myope.Dans son intervention, le Secrétaire Général à l’Environnement et au Développement Durable, Benjamin Toirambe, a souligné la nécessité d’impliquer ANSER pour « fournir une électricité propre » via des solutions de cuisson utilisant moins de bois. C’est louable, mais terriblement naïf. L’approche adoptée est technocratique : on injecte des foyers améliorés, on distribue des subventions, et on espère que les communautés, par miracle, changeront de comportements.

Or, la transition énergétique en milieu rural ne peut pas se résumer à des gadgets technologiques subventionnés. Elle doit être pensée comme un processus social, qui prend en compte la pauvreté structurelle, l’absence d’alternatives fiables au bois-énergie, la marginalisation des femmes rurales, et surtout la faillite historique des politiques de développement rural.Le second protocole d’accord, signé avec l’ACE, prévoit un renforcement des capacités du Ministère de l’Environnement et des structures affiliées, dans l’évaluation des risques environnementaux et sociaux. Mais ici encore, la formule sonne comme un slogan : aucune méthodologie rigoureuse, aucun diagnostic initial, aucun mécanisme de redevabilité publique. Le Directeur Général Adjoint de l’ACE, impliqué dans cet accord, devrait se poser une question simple : comment former des agents à l’évaluation environnementale dans un pays où les études d’impact sont souvent bâclées, voire falsifiées pour ne pas dire marchandées, au profit d’intérêts industriels ? Former qui, à quoi, pour quels résultats, et surtout avec quel contrôle citoyen ? Le protocole prévoit notamment un programme de Financement Basé sur les Résultats (FBR) de 16 millions de dollars. Objectif : stimuler le marché des foyers améliorés. Mais le dispositif pose plus de questions qu’il n’en résout : quels seront les critères d’éligibilité des bénéficiaires ? Quelle transparence dans l’allocation des fonds ? Quels mécanismes indépendants de suivi-évaluation ?

Le Coordonnateur National de l’UC-PIF, présent lors de la signature, aurait dû détailler ces mécanismes au lieu de se limiter à un cadre de collaboration généraliste. Car en RDC, les programmes environnementaux sont souvent dévorés par les structures intermédiaires, au détriment des communautés bénéficiaires.« Nous souhaitons maintenant travailler sur les savanes pour les restaurer », a déclaré Benjamin Toirambe. L’intention est noble. Mais le PIFORES semble confondre restauration écologique avec reboisement aléatoire. Restaurer un écosystème de savane demande une compréhension fine de ses dynamiques : régime de feu, pâturage extensif, biodiversité endémique, services écosystémiques locaux. Or, à aucun moment le projet ne mentionne un cadre scientifique de référence, ni ne propose une cartographie des zones à restaurer, ni une consultation des communautés locales. Ce silence méthodologique est alarmant.Ce que révèle le PIFORES, c’est un mal plus profond dans la politique environnementale congolaise : l’obsession du projet au détriment de la vision d’ensemble. Il ne suffit pas de signer des protocoles d’accord entre agences nationales. Il faut construire une stratégie cohérente qui articule : la sécurité foncière des communautés rurales,la justice énergétique, la gouvernance locale des ressources naturelles, et l’écologie scientifique.

Sans cela, les millions de la Banque mondiale ne seront qu’une autre ligne budgétaire dans un cycle de projets sans impact durable.Ce programme ne doit pas échapper au regard critique de la société civile, des chercheurs, des journalistes, et des communautés. Il est temps que les projets environnementaux en RDC cessent d’être des vitrines internationales pour devenir des leviers de transformation réelle. Et pour d’autres observateurs il est temps de poser une question simple, mais essentielle : à qui profite réellement le PIFORES ?

Par Franck zongwe lukama

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