Tandis que l’Union européenne claironne ses ambitions « vertes » et « éthiques », un rapport explosif de l’ONG Global Witness vient fracasser ce vernis de respectabilité. Il révèle que le groupe luxembourgeois Traxys, acteur clé du négoce de matières premières, aurait acquis en 2024 plus de 280 tonnes de coltan issues de zones de guerre dans l’est de la République démocratique du Congo.
Ce minerai stratégique, essentiel à nos téléphones, ordinateurs ou véhicules électriques, serait passé en contrebande par le Rwanda, pays soupçonné de jouer un rôle central dans le pillage et la militarisation de la région. Le bénéficiaire direct ? Le groupe armé M23, auteur de crimes de guerre documentés et supplétif notoire de Kigali. Rubaya. Ce nom, inconnu du grand public, est le cœur d’un système mafieux qui alimente nos technologies du quotidien. C’est là, sur les hauts plateaux du Masisi, que se trouve l’un des plus grands gisements de coltan de la planète. Depuis avril 2024, la région est passée sous la coupe de l’AFC/M23, milice responsable d’exactions et protégée par l’armée rwandaise. Chaque sac de minerai qui en sort est taxé, chaque gramme devient une balle, un fusil, un instrument de terreur contre les civils congolais.
Global Witness estime que jusqu’à 120 tonnes de coltan quittent chaque mois Rubaya à destination du Rwanda, générant environ 800 000 dollars mensuels pour financer une guerre qui dévaste l’Est congolais depuis plus d’une décennie. C’est ici qu’entre en scène la société Traxys. Officiellement respectueuse des règles de traçabilité internationale, elle apparaît pourtant comme l’un des maillons principaux d’une chaîne d’approvisionnement opaque, détournée et toxique. Via African Panther, une société rwandaise, Traxys aurait acheté tout ce coltan souillé. Les données des douanes rwandaises sont sans appel : 280 tonnes vendues à l’entreprise luxembourgeoise en 2024.
Face aux accusations, Traxys nie en bloc, jurant ne pas s’approvisionner en zones de conflit. Mais pour Global Witness, ces dénégations relèvent de l’hypocrisie : « Une partie de ce coltan provient bel et bien de mines occupées par le M23 », affirme sans détour Alex Kopp, chercheur pour l’ONG. Mais le scandale dépasse les seuls intérêts privés. Car en février 2024, Bruxelles a signé un partenariat stratégique avec Kigali pour sécuriser l’accès européen au tantale, l’un des métaux extraits du coltan. Ce pacte, censé renforcer la souveraineté industrielle européenne, fait désormais figure de trahison pure et simple des engagements moraux et juridiques pris par l’UE.
Depuis 2021, une législation européenne impose pourtant une « diligence raisonnable » aux importateurs de minerais. Mais sur le terrain, ce cadre réglementaire est contourné, affaibli, trahi par ceux-là mêmes qui prétendent défendre l’État de droit. Le rapport de Global Witness rappelle que ce n’est pas un cas isolé. Apple, Samsung, et d’autres géants ont déjà été pointés du doigt pour leurs pratiques douteuses en matière d’approvisionnement. Ce que révèle aujourd’hui l’affaire Traxys, c’est l’impunité persistante d’un système où les intérêts économiques passent avant la vie humaine. Où les multinationales se lavent les mains pendant que le sang continue de couler à Rubaya.
Et pendant que l’Europe serre la main de Kagame, les civils congolais tombent sous les balles d’un conflit alimenté par notre soif insatiable de technologies. Face à l’ampleur de ces révélations, Global Witness appelle à des sanctions immédiates : suspension du partenariat UE-Rwanda, renforcement drastique des contrôles douaniers et fin des importations de minerais tant qu’aucune garantie crédible n’est donnée. L’inaction ne serait rien d’autre qu’une complicité assumée.
Mais la vraie question demeure : l’Europe est-elle prête à renoncer à ses gadgets pour défendre les droits humains ? Ou continuera-t-elle à construire son avenir numérique sur les ruines d’une nation sacrifiée ?Tant que les creuseurs de Rubaya mourront pour que nos smartphones brillent, chaque clic, chaque appel, chaque batterie pleine portera la marque du cynisme. Et la honte.
Par Franck zongwe Lukama