Mai Ndombe : Contestation du Pouvoir et Autonomisation Communautaire dans le Projet REDD+ à Mushie, DR Congo

Dans les profondeurs de la forêt tropicale de la République Démocratique du Congo (RDC), une bataille silencieuse se joue. Elle ne concerne pas seulement les arbres et le carbone qu’ils stockent, mais aussi le pouvoir, la participation et l’autonomisation des communautés locales. Le projet pilote REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts) dans le district des Plateaux, province de Mai-Ndombe, est au cœur de cette lutte.

Dr. Marie Tsanga, anthropologue spécialisée dans les questions de gouvernance forestière, explique : “Le projet REDD+ à Mushie représente un microcosme des défis auxquels sont confrontés les efforts mondiaux de conservation des forêts. Il met en lumière la complexité de l’autonomisation des communautés locales dans le contexte de projets internationaux de grande envergure.”

REDD+ son contexte de mises en oeuvre et la promesse d’autonomisation communautaire

Le mécanisme REDD+ a été conçu comme un outil novateur pour lutter contre le changement climatique tout en impliquant les communautés locales dans la gestion durable des forêts. La province de Mai-Ndombe, avec ses 1,5 million d’habitants et 87% de couverture forestière, semblait être le candidat idéal pour un tel projet. Jean-Pierre Mukendi, chef de village à Mushie, se souvient : “Quand on nous a parlé de REDD+, on nous a promis que nous aurions notre mot à dire dans la gestion de nos forêts. C’était comme un rêve devenu réalité.” Cependant, la réalité s’est avérée plus complexe. Le taux de déforestation alarmant de 0,44% entre 2000 et 2014 dans le district des Plateaux a certes justifié l’intervention, mais a également mis en évidence les défis à relever.

Les Comités Locaux de Développement (CLD) : Une structure prometteuse ?

Le projet REDD+ à Mushie a mis en place des Comités Locaux de Développement (CLD) comme principal mécanisme de participation communautaire. Ces structures étaient censées donner aux communautés locales un rôle central dans la prise de décision et la mise en œuvre du projet. Dr. Léon Tshilolo, expert en gouvernance participative, commente : “Les CLD représentaient une opportunité unique d’impliquer véritablement les communautés. Cependant, leur mise en œuvre a révélé des failles importantes dans notre compréhension de la dynamique du pouvoir local.” La création de structures participatives ne garantit pas automatiquement une véritable autonomisation. Il est crucial d’analyser et de prendre en compte les dynamiques de pouvoir préexistantes au sein des communautés.

Comprendreles quatre “lieux de pouvoir”, Une analyse révélatrice

En utilisant le cadre des quatre “lieux de pouvoir” d’Ahlborg et Nightingale (2018), l’étude a mis en lumière les complexités de la participation communautaire dans le projet REDD+.

  1. Conflits épistémologiques

Le premier “lieu de pouvoir” a révélé des divergences fondamentales dans la compréhension de la “participation communautaire” entre les différentes institutions impliquées dans le projet.Témoignage de Mama Jeanne, membre d’un CLD : “Nous pensions que participer signifiait prendre des décisions ensemble. Mais souvent, on nous demandait simplement d’approuver des plans déjà établis.”

  1. Discordances opérationnelles

Ces conflits épistémologiques ont conduit à des discordances opérationnelles, le deuxième “lieu de pouvoir”. La mise en œuvre concrète du projet ne correspondait pas toujours aux attentes des communautés.

  1. Paiements pour Services Écosystémiques (PSE), Une promesse non tenue

Le projet a promu les Paiements pour Services Écosystémiques (PSE) comme principal incitatif pour encourager la participation communautaire. Cependant, les CLD n’ont pas reçu l’autorité nécessaire pour gérer ce processus. Dr. Émilie Durand, économiste environnementale, explique : “Les PSE peuvent être un outil puissant, mais leur mise en œuvre nécessite une réflexion approfondie sur les structures de pouvoir existantes. Dans le cas de Mushie, le manque de contrôle des CLD sur les PSE a renforcé les inégalités plutôt que de les atténuer.”

  1. Renforcement des autorités traditionnelles

L’étude a révélé que les autorités traditionnelles ont souvent réussi à s’approprier des rôles privilégiés au sein des CLD, peuplant ces comités de leurs propres partisans. Chef Bokanga, autorité traditionnelle locale, défend : “Nous connaissons notre peuple et nos forêts mieux que quiconque. Il est naturel que nous jouions un rôle central dans ces comités.” La mise en place de nouvelles structures de gouvernance devait tenir compte des hiérarchies existantes et trouver des moyens de promouvoir une participation véritablement inclusive.

IV. L’accès aux bénéfices, Un révélateur des dynamiques de pouvoir

L’analyse du mécanisme de partage des bénéfices du projet REDD+ a fourni des insights précieux sur les dynamiques de pouvoir au sein des communautés. Dr. Amina Diallo, spécialiste en gouvernance des ressources naturelles, souligne : “Le partage des bénéfices est souvent considéré comme un aspect technique, mais c’est en réalité un processus profondément politique qui révèle et renforce les structures de pouvoir existantes.”

  1. Le rôle crucial des intermédiaires

L’étude a mis en lumière le rôle crucial joué par les intermédiaires dans la médiation de l’accès aux bénéfices du projet REDD+. Témoignage de Paul Mabeka, agriculteur local : “Nous avons vite compris que pour avoir accès aux bénéfices, il fallait être dans les bonnes grâces de certaines personnes. Ce n’était pas toujours juste.”

  1. La théorie de l’accès de Ribot et Peluso

En utilisant la théorie de l’accès de Ribot et Peluso (2003), l’étude a examiné comment les communautés locales ont pu (ou non) bénéficier concrètement du projet REDD+.Dr. Olivier Mukuna, sociologue, explique : “La théorie de l’accès nous permet de voir au-delà des droits formels. Elle nous montre comment le pouvoir se manifeste dans la capacité réelle des gens à tirer profit des ressources.” Les mécanismes de partage des bénéfices n’a pas été conçus avec une compréhension approfondie des dynamiques de pouvoir locales pour éviter de renforcer les inégalités existantes.

Les défis de la participation communautaire, Au-delà de l’autorité managériale

L’étude a souligné l’importance d’examiner la participation communautaire au-delà des simples aspects d’autorité managériale ou de fourniture de main-d’œuvre.Dr. Fatou Ndiaye, experte en développement communautaire, commente : “Trop souvent, nous réduisons la participation à des indicateurs quantitatifs. Mais la véritable autonomisation est un processus complexe qui touche à l’identité, à la dignité et au sentiment d’appartenance.”

  1. Les moments d’émergence du pouvoir communautaire

L’étude a cherché à identifier les moments où le pouvoir des communautés locales a émergé et s’est exercé dans le cadre du projet REDD+.Témoignage de Marie Lokonga, membre d’un CLD : “Il y a eu des moments où nous avons vraiment senti que notre voix comptait. Mais ces moments étaient rares et souvent éphémères.”

  1. Les quatre “lieux de pouvoir” revisités

En examinant l’émergence du pouvoir communautaire dans les quatre “lieux” conceptuels distincts, l’étude a fourni une perspective nuancée sur les dynamiques de pouvoir au sein du projet. On note que l’autonomisation communautaire est un processus dynamique qui se manifeste de manière différente selon les contextes. Il est donc important d’adopter une approche flexible et adaptative pour soutenir ce processus.

VI. Les leçons du Népal : Un modèle de réussite ?

Alors que le projet REDD+ à Mushie a rencontré de nombreux défis, l’expérience d’un projet pilote REDD+ au Népal offre un contraste intéressant et des leçons potentiellement précieuses.Dr. Rajesh Sharma, expert en foresterie communautaire, explique : “Le projet népalais a bénéficié de quatre décennies d’expérience en gestion forestière communautaire. Cela a fourni une base solide pour expérimenter un mécanisme de paiement REDD+ et établir une procédure efficace, efficiente et équitable.”

  1. Succès dans la surveillance communautaire

Le projet népalais a démontré que les communautés sont capables, avec une formation adéquate, de mener des enquêtes précises et fiables sur le carbone. Témoignage de Ram Bahadur, membre d’une communauté forestière népalaise : “Au début, nous étions sceptiques quant à notre capacité à mesurer le carbone. Mais avec la formation, nous avons réalisé que nos connaissances traditionnelles de la forêt étaient un atout précieux.”

  1. Distribution équitable des bénéfices

Le projet a réussi à distribuer les bénéfices financiers entre les participants en se basant en partie sur la performance carbone des communautés, mais aussi en tenant compte des besoins sociaux.Dr. Asha Gurung, socio-économiste, commente : “Le modèle népalais montre qu’il est possible de concilier efficacité environnementale et équité sociale. C’est un équilibre délicat, mais crucial pour le succès à long terme de REDD+.” Il se prouve que l’expérience népalaise souligne l’importance d’une approche holistique qui intègre les objectifs environnementaux, sociaux et économiques.

VII. Les défis de la mise à l’échelle : Du pilote au national

Malgré les succès du projet pilote népalais, sa mise à l’échelle au niveau national pose des défis considérables. Dr. Prakash Lamsal, expert en politiques forestières, explique : “Le passage de l’échelle pilote à l’échelle nationale nécessite non seulement des ressources financières, mais aussi une transformation profonde des institutions et des mentalités.”

  1. Renforcement des capacités

L’expérience népalaise a souligné l’importance cruciale du renforcement des capacités, tant au niveau gouvernemental que communautaire.Témoignage de Sita Devi, fonctionnaire forestier népalais : “Nous avons réalisé que pour que REDD+ fonctionne à grande échelle, nous devions investir massivement dans la formation, non seulement des communautés, mais aussi de nos propres équipes.”

  1. Intégration dans les systèmes nationaux

L’intégration de la surveillance communautaire dans les systèmes nationaux de MRV (Mesure, Rapport et Vérification) reste un défi majeur. Dr. Lila Nath Sharma, expert en télédétection, commente : “Les données communautaires peuvent grandement enrichir nos estimations nationales. Mais pour cela, nous devons développer des protocoles standardisés et des systèmes d’assurance qualité robustes.” Mentionons que la mise à l’échelle des projets pilotes REDD+ nécessite une approche systémique qui prend en compte les aspects techniques, institutionnels et sociaux.

REDD+ Au-delà du carbone, L’importance des co-bénéfices

Tant l’expérience congolaise que népalaise souligne l’importance cruciale des co-bénéfices dans le succès des projets REDD+. Dr. Claudine Munari, anthropologue, explique : “REDD+ ne peut pas être vu uniquement sous l’angle du carbone. Pour les communautés locales, les impacts sur les moyens de subsistance et le renforcement institutionnel sont tout aussi importants, sinon plus.”

  1. Amélioration des moyens de subsistance

Le projet népalais a démontré des impacts positifs sur les moyens de subsistance des communautés participantes. Témoignage de Maya Tamang, agricultrice népalaise : “Grâce au projet REDD+, nous avons non seulement amélioré notre forêt, mais aussi diversifié nos sources de revenus. C’est ce qui a vraiment fait la différence pour nous.”

  1. Renforcement des capacités institutionnelles et techniques

Les deux projets ont contribué au renforcement des capacités institutionnelles et techniques au sein des communautés. Dr. Emmanuel Lubala, expert en développement communautaire, commente : “Le véritable succès de ces projets réside dans le renforcement du capital social et humain. C’est ce qui permettra aux communautés de gérer durablement leurs ressources à long terme.” Les projets REDD+ devaient être conçus et évalués non seulement en termes d’efficacité carbone, mais aussi en fonction de leurs impacts socio-économiques et institutionnels plus larges.

Les défis de l’inclusion sociale, Une question de durabilité

L’expérience des deux projets souligne l’importance cruciale de l’inclusion sociale pour la durabilité des initiatives REDD+. Dr. Thérèse Kabongo, sociologue, explique : “L’exclusion de certains groupes, qu’elle soit basée sur l’ethnicité, le genre ou le statut socio-économique, peut saper la légitimité et l’efficacité des projets REDD+.”

  1. Promotion de la participation significative

Le projet népalais a fait des efforts pour promouvoir la participation significative des communautés défavorisées, mais des défis persistent. Témoignage de Sunita Magar, membre d’une communauté marginalisée au Népal : “Au début, nous avions l’impression d’être là juste pour la forme. Mais progressivement, nous avons appris à faire entendre notre voix. C’est un processus continu.”

  1. Gestion des conflits d’intérêts

L’expérience congolaise a mis en lumière les défis liés aux conflits d’inter communautaire, L’expérience congolaise a mis en lumière les défis liés aux conflits d’intérêts entre différents groupes au sein des communautés. Dr. Pascal Nzolameso, expert en résolution de conflits, commente : “Les projets REDD+ peuvent exacerber les tensions existantes ou en créer de nouvelles. Il est crucial d’avoir des mécanismes robustes de résolution des conflits intégrés dès le début du projet.” Quant au témoignage de François Bolamba, chef de clan à Mushie : “Le projet a parfois créé des divisions dans notre communauté. Certains ont eu l’impression d’être laissés pour compte, ce qui a généré des tensions.” De la situation precedente, il s’observe que la gestion proactive des conflits et la promotion d’une participation inclusive sont essentielles pour la durabilité à long terme des projets REDD+.

Le rôle de la technologie, des Opportunités et défis

L’utilisation croissante de la technologie dans les projets REDD+ offre de nouvelles opportunités mais soulève également des questions d’équité et d’accès.Dr. Aminata Koné, experte en technologies de l’information, explique : “Les outils numériques peuvent grandement améliorer la collecte et l’analyse des données, mais ils peuvent aussi créer de nouvelles formes d’exclusion si leur utilisation n’est pas soigneusement gérée.”

  1. Surveillance par satellite et drones

L’utilisation de la télédétection et des drones offre de nouvelles possibilités pour la surveillance des forêts, mais soulève des questions sur le rôle des communautés locales dans ce processus. Comme le témoignage Jean-Claude Maboto, garde forestier à Mushie : “Les drones nous permettent de surveiller de vastes zones rapidement. Mais nous devons veiller à ce que cela ne remplace pas notre connaissance du terrain et notre relation avec la forêt.”

  1. Applications mobiles pour la collecte de données

Des applications mobiles ont été développées pour faciliter la collecte de données par les communautés, mais leur utilisation efficace nécessite une formation et un accès équitable.Dr. Sylvie Mukendi, spécialiste en développement d’applications, commente : “Ces outils peuvent autonomiser les communautés, mais nous devons être attentifs aux disparités d’accès et de compétences numériques.” Il s’observe que l’intégration de la technologie dans les projets REDD+ doit être accompagnée d’efforts pour garantir un accès équitable et renforcer les capacités locales.

Vers une nouvelle approche de l’autonomisation communautaire

Les expériences de Mushie et du Népal soulignent la nécessité d’une approche plus nuancée et contextualisée de l’autonomisation communautaire dans les projets REDD+. Dr. Léonard Matondo, expert en développement durable, explique : “L’autonomisation ne peut pas être imposée de l’extérieur. Elle doit émerger d’un processus de dialogue et d’apprentissage mutuel entre les communautés, les gouvernements et les partenaires internationaux.”

  1. Repenser la participation

Il est crucial de repenser la notion de participation pour aller au-delà de la simple consultation et permettre une véritable co-création des projets. Comme le témoigne Marie-Claire Lumumba, leader communautaire à Mushie : “Nous ne voulons pas seulement être informés ou consultés. Nous voulons être des partenaires à part entière dans la conception et la mise en œuvre des projets qui affectent nos forêts et nos vies.”

  1. Renforcement des institutions locales

Le renforcement des institutions locales existantes, plutôt que la création de nouvelles structures, peut offrir une voie plus durable vers l’autonomisation.Dr. Antoine Kasongo, spécialiste en gouvernance locale, commente : “Nous devons construire sur les structures de gouvernance existantes, en les renforçant et en les rendant plus inclusives, plutôt que de créer des structures parallèles qui peuvent saper l’autorité locale.” Du constant ci haut il se degage que l’autonomisation communautaire dans le cadre de REDD+ nécessite une approche à long terme, ancrée dans les réalités locales et respectueuse des institutions existantes.

Le projet pilote REDD+ à Mushie, en République Démocratique du Congo, ainsi que l’expérience népalaise, offrent des leçons précieuses pour l’avenir de REDD+ et plus largement pour les efforts d’autonomisation communautaire dans la gestion des ressources naturelles. Dr. Jeanne Mwamba, directrice du Centre de Recherche sur le Développement Durable, résume : “Ces expériences nous montrent que l’autonomisation communautaire n’est pas un résultat automatique des projets REDD+. C’est un processus complexe qui nécessite une attention constante aux dynamiques de pouvoir locales, une approche flexible et adaptative, et un engagement à long terme.”

Les défis rencontrés à Mushie, de la création de structures participatives à la gestion des conflits d’intérêts, soulignent la nécessité d’une compréhension approfondie des contextes locaux. En parallèle, les succès du Népal dans la surveillance communautaire et la distribution équitable des bénéfices offrent des modèles prometteurs, tout en mettant en lumière les défis de la mise à l’échelle. Alors que REDD+ continue d’évoluer, il est clair que son succès dépendra non seulement de sa capacité à réduire les émissions de carbone, mais aussi de son impact sur l’autonomisation des communautés et le développement durable local. Cela nécessitera une approche holistique qui va au-delà des considérations techniques pour aborder les questions complexes de pouvoir, d’équité et de justice sociale. En fin de compte, l’expérience de Mushie et du Népal nous rappelle que la véritable autonomisation communautaire est un voyage, pas une destination. C’est un processus continu d’apprentissage, d’adaptation et de transformation qui requiert patience, engagement et une volonté de remettre en question nos propres hypothèses sur le pouvoir et la participation. Comme le dit si bien Mama Jeanne, membre du CLD de Mushie : “Notre forêt est notre vie. Avec REDD+, nous avons commencé un nouveau chapitre de notre histoire. Ce n’est pas toujours facile, mais nous apprenons chaque jour à faire entendre notre voix et à façonner notre avenir.”

L’avenir de REDD+ et de l’autonomisation communautaire dans la gestion des forêts reste à écrire. Mais une chose est claire : ce n’est qu’en plaçant les communautés au cœur de ces efforts que nous pourrons espérer atteindre nos objectifs de conservation des forêts et de développement durable.

Par Franck zongwe Lukama

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