La République Démocratique du Congo (RDC) est un pays où les infrastructures routières sont souvent inaccessibles, et où les moyens de transport traditionnels sont insuffisants pour répondre aux besoins croissants de la population. Dans ce contexte, les baleinières, ces embarcations artisanales en bois propulsées par des moteurs diesel chinois, sont devenues une pièce maîtresse du transport fluvial. Pourtant, cette dépendance croissante à ces bateaux expose également des défis majeurs en matière de sécurité et de régulation.
Les baleinières ont émergé comme une solution ingénieuse face à l’effondrement des infrastructures de transport en RDC. Construites en bois et souvent propulsées par des moteurs Chang Fa, ces embarcations répondent à un besoin urgent de mobilité dans un pays où les routes sont souvent impraticables. Les baleinières, qui représentaient environ 50 % des mouvements de biens et de personnes sur les voies navigables intérieures de la RDC en 2022, ont joué un rôle essentiel dans le ravitaillement des villes comme Kinshasa, Kisangani et Mbandaka. Les racines historiques de cette innovation remontent aux crises économiques et politiques de l’époque de Mobutu, notamment l’« Zaïrianisation » des années 1970, qui a entraîné la désintégration des infrastructures héritées de la période coloniale. Avec la privatisation et la défaillance du Office National du Transport (ONATRA), les baleinières ont comblé le vide laissé par la faillite des systèmes de transport formels. Ces embarcations, fabriquées localement et adaptées aux réalités du terrain, sont devenues une réponse pragmatique aux défis logistiques de la région.
Les ports fluviaux en RDC jouent un rôle crucial dans le transport et la distribution des marchandises et des passagers. Cependant, leur état et leur gestion varient considérablement. Des ports comme celui de Kinshasa, le plus grand du pays, sont des centres névralgiques où convergent des milliers de passagers et de tonnes de marchandises chaque jour. Le port de Kisangani, situé au cœur du pays, est également vital pour les échanges commerciaux avec les régions nord et est. Cependant, ces ports souffrent souvent d’un manque d’infrastructure adéquate et de gestion efficace. Les infrastructures portuaires sont souvent rudimentaires, avec des quais en mauvais état et des équipements de chargement obsolètes. Les conditions de sécurité dans ces ports sont souvent préoccupantes, ce qui augmente le risque d’accidents lors des opérations de chargement et de déchargement. Le port de Mbandaka, par exemple, a été critiqué pour ses conditions insalubres et la gestion chaotique des passagers et des marchandises.
Malgré leur succès, les baleinières sont confrontées à des défis majeurs en matière de sécurité et de régulation. En 2018, un naufrage tragique sur le fleuve Congo, près du village d’Epulu, a causé la mort d’un passager et la disparition de douze autres. Cet incident a mis en lumière les lacunes dans la régulation et la sécurité des baleinières. Les rapports de la Direction Générale des Migrations (DGM) étaient souvent incohérents avec les témoignages locaux, révélant une gestion approximative des passagers et des cargaisons.
Le manque de régulation formelle est exacerbé par l’absence de contrôle effectif sur les voies navigables. Par exemple, bien que la navigation nocturne soit formellement interdite pour les baleinières afin de réduire les accidents, l’absence de police fluviale rend cette règle difficile à appliquer. De nombreux incidents, comme les accrochages avec des rochers ou des pannes mécaniques, sont dus à des conditions dégradées de l’infrastructure et à une surveillance insuffisante. Les baleinières sont également souvent accusées d’être des « cercueils flottants », une comparaison sévère qui reflète les préoccupations concernant leur sécurité. L’absence de maintenance adéquate et les erreurs de navigation sont des causes fréquentes d’accidents, aggravées par une gestion de l’équipage qui ne répond pas toujours aux normes de sécurité.
Témoignage : La Vie à Bord et les Défis Quotidiens
Pour mieux comprendre la réalité des baleinières, kilalopress a recueilli le témoignage de Jean-Pierre Kambale, un armateur expérimenté basé à Kisangani. Jean-Pierre, qui travaille dans le secteur depuis plus de vingt ans, a partagé son expérience :
« Travailler avec les baleinières n’est pas facile. Les conditions sont souvent précaires. Nous devons souvent réparer les moteurs nous-mêmes, car il n’y a pas de mécaniciens qualifiés disponibles dans les régions éloignées. La sécurité est un problème constant ; nous avons essayé de respecter les règles de chargement et de navigation, mais souvent, les passagers ignorent les consignes de sécurité. Les ports où nous opérons sont parfois en très mauvais état, ce qui rend les opérations risquées. Nous faisons ce que nous pouvons pour assurer la sécurité, mais les défis sont nombreux et les ressources limitées. »
Jean-Pierre souligne également les difficultés liées à la gestion des ports. Selon lui, les infrastructures insuffisantes et la gestion inefficace des ports compliquent encore davantage les opérations. « Le port de Kisangani est souvent congestionné, et les quais sont en mauvais état. Cela retarde les départs et crée des risques supplémentaires. Nous avons besoin d’une meilleure organisation et d’un soutien plus fort pour améliorer les conditions de travail et de sécurité. » Les baleinières ont un impact profond sur les communautés locales, particulièrement dans les zones rurales. Elles ont favorisé l’émergence de nouveaux marchés fluviaux et soutenu des économies locales, en particulier dans des régions où les infrastructures routières sont inexistantes. Les armateurs et les équipages des baleinières, souvent d’anciens commerçants ambulants ou pêcheurs, jouent un rôle crucial en reliant les communautés rurales aux centres urbains.
Cependant, la dépendance accrue à ces embarcations expose les communautés aux risques liés aux accidents et à une régulation inefficace. Les tentatives de régulation par les autorités, souvent perçues comme inadaptées ou mal appliquées, sont critiquées pour leur manque d’efficacité. L’absence d’une véritable force de police fluviale et les pratiques de régulation non uniformes entraînent des tensions entre les autorités et les acteurs économiques locaux. En définitive, les baleinières de la RDC incarnent une innovation locale face aux défis d’infrastructure et de transport. Leur succès est indissociable des conditions précaires de régulation et des besoins des communautés rurales. Si elles offrent une solution vitale pour la mobilité dans un pays où les routes sont souvent impraticables, elles mettent également en évidence les limites d’une régulation qui peine à suivre le rythme de l’évolution des pratiques locales.
La complexité de la régulation des baleinières révèle une dynamique où l’État et les acteurs économiques co-construisent les normes et les pratiques, souvent en dehors des schémas bureaucratiques formels. Pour garantir la sécurité et l’efficacité de ce mode de transport crucial, une approche plus intégrée et adaptable est nécessaire, qui reconnaît les réalités du terrain et les besoins des communautés locales. La RDC se trouve à un carrefour où la régulation doit évoluer pour soutenir et sécuriser l’innovation locale, tout en respectant les réalités économiques et sociales des riverains.
Kilalopress