KilaloPress, 8 mai 2025 — Le 4 mars dernier, les ambassades américaines ont cessé de diffuser les données de qualité de l’air qu’elles collectaient à travers le réseau AirNow, un site géré par le Département d’État des États-Unis. Une décision passée sous silence jusqu’à ce que la rédaction de KilaloPress reçoive, ce 7 mai, une copie d’un rapport détaillant les lourdes conséquences de cette suspension pour de nombreux pays, en particulier sur le continent africain.
Selon les données recueillies par l’Alliance pour la Qualité de l’Air Internationale (ACI), 13 pays dans le monde — dont neuf en Afrique — étaient entièrement dépendants des capteurs installés dans les ambassades américaines pour accéder à des données réglementaires sur la qualité de l’air. La Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Soudan, le Gabon, le Tchad et la République démocratique du Congo figurent parmi les pays les plus durement touchés par cette interruption, désormais privés de toute surveillance publique, fiable et accessible de leur atmosphère.
Dans ces pays, les capteurs des ambassades représentaient souvent la seule source de données en temps réel et de qualité réglementaire, permettant non seulement d’informer les populations, mais aussi de guider les politiques de santé publique et les recherches scientifiques. Une étude de 2022 a montré que la présence de ces capteurs avait permis de réduire les niveaux de particules fines PM2,5 de 2 à 4 microgrammes par mètre cube, entraînant une baisse notable de la mortalité prématurée et des coûts de santé publique. « Des données ouvertes et de haute qualité sur la qualité de l’air sont la pierre angulaire de la lutte mondiale contre la pollution », déclare Lauri Myllyvirta, analyste principal au Centre de Recherche sur l’Énergie et l’Air Propre (CREA). « L’interruption des données AirNow fragilise les efforts menés pour réduire l’exposition à la pollution atmosphérique, particulièrement dans les pays où ces capteurs étaient la seule source fiable. »
En Afrique, malgré l’existence de systèmes gouvernementaux de surveillance dans certains pays, la transparence et l’accessibilité publique des données restent inégales. Le Ghana, Madagascar et le Nigeria partagent des données de manière partielle. Le Mozambique et l’Algérie, quant à eux, ne rendent pas leurs données accessibles au public. Seuls l’Ouganda et le Kenya se distinguent par un niveau de transparence élevé.
Pour Gabriel Okello, chercheur au Cambridge Institute for Sustainability Leadership, cette fermeture constitue un « revers majeur ». Elle affaiblit les capacités de recherche, compromet la santé publique et met en péril les progrès réalisés en matière de lutte contre la pollution de l’air, une crise sanitaire responsable de plus de sept millions de décès prématurés par an dans le monde, dont un million en Afrique. Au-delà des pertes sanitaires, l’impact économique est significatif. L’étude précitée estime que la réduction de la pollution autour des ambassades pourrait générer jusqu’à 465 millions de dollars par an en bénéfices économiques dans les villes concernées. À l’échelle d’une seule ambassade, les capteurs ont permis d’économiser plus de 33 000 dollars en indemnisations de sujétion, pour un coût annuel inférieur à 10 000 dollars.
Desmond Appiah, responsable du Clean Air Fund pour le Ghana, s’inquiète des conséquences à long terme : « On ne peut pas s’attaquer à ce qu’on ne peut pas mesurer. Sans données fiables, les stratégies nationales deviennent aveugles. »Face à cette rupture, l’ACI exhorte les gouvernements locaux à renforcer leur capacité de surveillance, à améliorer la transparence des données existantes et à rechercher un appui technique et financier international pour combler le vide laissé par le retrait américain. Dans un contexte mondial où la pollution atmosphérique devient un enjeu aussi crucial que le climat ou la biodiversité, l’accès aux données scientifiques reste plus que jamais un droit, et un levier indispensable pour bâtir des politiques de santé publique efficaces.
Par kilalopress