RDC : Le “Couloir Vert Kivu-Kinshasa” une manœuvre d’une colonisation nouvelle génération ou un enjeu national du marché carboné ?

La République Démocratique du Congo, pays de contrastes où la beauté naturelle côtoie la misère humaine, serait-elle en train de s’embarquer dans une aventure écologique aussi risquée qu’opportuniste ? Le projet de création du “Couloir Vert Kivu-Kinshasa” suscite des débats enflammés, avec une question qui brûle toutes les lèvres : faut-il y voir une vraie initiative pour la conservation de la nature, ou bien une stratégie déguisée de néocolonialisme et de privatisation de jouissance des ressources naturelles pour un pays en voie de développement sous couvert de besoin d’écologie ?

L’exposé des motifs de la loi modificative sur la conservation de la nature, qui sert de fondement au projet de “Couloir Vert”, semble être un modèle de bonne intention. Selon le gouvernement, cette nouvelle aire protégée serait une “réserve communautaire” dédiée à la promotion de l’économie verte. Ah, l’économie verte, ce saint Graal qui, paraît-il, va sauver la planète tout en assurant des bénéfices juteux pour quelques acteurs bien placés. Et dans cette danse des bons sentiments, n’oublions pas que la RDC, avec sa forêt d’une richesse inouïe, est aussi devenue l’un des plus gros réservoirs mondiaux de crédits carbone. Difficile de ne pas voir un agenda caché derrière ce discours “vert” – il y a de l’argent à faire, et pas qu’un peu.

C’est là que ça se corse. Pour assurer la mise en œuvre de ce projet, le gouvernement a jugé utile de modifier la loi n°14/003 du 11 février 2014 sur la conservation de la nature. Et pour couronner le tout, la loi a été promulguée en un temps record – trois mois ! Un peu comme si une bousculade avait eu lieu dans les bureaux ministériels à kinshasa pour faire passer cette loi avant que quelqu’un n’ait le temps de poser trop de questions. Pourquoi cette précipitation ? Et qui sont les bénéficiaires réels de ce “couloir vert” ?

Une gestion précipitée et des incohérences criantes

La loi, adoptée à la hâte par un parlement qui ne s’est même pas donné la peine de consulter les parties prenantes concernées, est remplie de zones d’ombre. Comment peut-on créer une “réserve communautaire” sans se poser de vraies questions sur les droits fonciers, forestiers et miniers existants dans la zone ? Et ces initiatives et projets d’exploration et d’exploitation minière et  hydrocarbures dans la zone, que sera leur sort une fois le “Couloir Vert” en place ? La question reste sans réponse, et les communautés locales, elles, n’ont pas été consultées avant qu’on leur impose cette nouvelle structure juridique.

Ce qui nous amène à la grande question : qui se cache derrière ce projet fantôme ? Dans un pays où la gouvernance a toujours été sujette à des dérives, pourquoi avoir tout fait dans la précipitation ? Des experts soupçonnent que des acteurs privés et internationaux, peu scrupuleux, ont vu dans cette “réserve communautaire” une opportunité juteuse de s’impliquer dans le marché du carbone, qui est en pleine expansion. Derrière cette façade écologique, n’y aurait-il pas une nouvelle forme de néocolonialisme, où l’on nous fait avaler des couleuvres sous prétexte de sauver l’environnement ?

L’arbre qui cache la forêt ?

Soyons honnêtes, s’exclame l’un des habitants de goma sous anonymat ” il y a une ironie qui frôle le ridicule dans cette histoire. Ceux qui étaient autrefois des adversaires acharnés de la conservation, accusant le mouvement écologique d’être un cheval de Troie pour les multinationales, se retrouvent maintenant à défendre un projet qui semble être une opération marketing pour le marché carbone. Oui, les mêmes qui dénonçaient le “véritable colonialisme vert” – l’idée que les grandes puissances utilisent la cause écologique pour accaparer les ressources naturelles des pays en développement – sont aujourd’hui en train de lancer un projet de conservation en totale contradiction avec leurs anciens discours.

Un petit coup d’œil à l’historique des acteurs derrière cette loi suffit à comprendre que certaines mains invisibles sont en train de tirer les ficelles. La précipitation législative qui a abouti à la promulgation de la loi laisse à penser que des intérêts financiers bien établis sont à l’œuvre. La RDC, avec ses ressources naturelles inestimables, semble avoir trouvé une nouvelle corde à son arc : le crédit carbone. Mais à qui profite réellement ce coup d’État vert ?

À l’heure où de nombreuses organisations de la société civile, mais aussi des juristes et des techniciens de développement vert (nous citons Jovial Bakulu de l’ACEDH Goma, contacté à ce sujet) il n’hésite pas à s’interroger si les initiateurs de ce gigantesques projet se rappellent encore des principes sacro sains tels que : le droit à la participation du public à tout projet susceptible de modifier son environnement , le CLIP (le Consentement Libre Informé et Préalable (auprès des peuples autochtones) et la préservation des droits acquis antérieurement à la création de ce Couloir Vert.

Les autres activistes lèvent le drapeau de l’indignation, il semble que le véritable problème ne soit pas l’intention de créer des espaces protégés, mais bien la manière dont ce projet est mené, . Est-ce un acte authentiquement écologique, ou une nouvelle forme de colonisation des ressources naturelles de la RDC ? À l’instar de la coupe des forêts primaires et de l’exploitation des minerais, la RDC est-elle encore une fois en train de servir de terrain de jeu pour les grands groupes économiques, sous prétexte de protection de la nature ? 

Au final, il ne s’agit pas seulement d’un “couloir vert” – il s’agit peut-être d’un couloir d’opportunités pour certains, mais d’une véritable impasse pour d’autres. Si le but est vraiment de protéger les écosystèmes et de favoriser le développement durable, il aurait été sage de prendre le temps d’élaborer une politique plus inclusive, qui implique les communautés locales, les experts et la société civile. Mais bon, pourquoi prendre son temps quand il y a de l’argent à faire dans la précipitation ?

La RDC, terre de promesses écologiques et de ressources naturelles infinies, serait-elle en train de se faire voler son avenir au nom d’un projet écologiquement douteux ? En réalité, le “Couloir Vert Kivu-Kinshasa” pourrait bien devenir la nouvelle vitrine d’un néocolonialisme discret, où l’on cache la voracité économique derrière des promesses de sauvetage écologique. Si cette loi n’est pas revue, nous pourrions bien assister à la naissance d’un marché carboné où la nature, une fois de plus, ne serait qu’un prétexte pour transformer des droits ancestraux en dollars. Et là, les Congolais n’auront plus qu’à se regarder dans le miroir et se demander si ce “vert” n’est pas en réalité une couleur un peu trop… sale.

Par Franck zongwe Lukama

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