RDC : Et si l’embargo sur le cobalt était un coup de génie stratégique ?

Sud-Est de la République Démocratique du Congo, au cœur de la fameuse ceinture cuprifère, les machines minières restent figées, et les cargaisons de cobalt ne franchissent plus les frontières. Depuis février 2024, Kinshasa a décidé de suspendre ses exportations de cobalt, un minerai au centre de toutes les convoitises mondiales. Une mesure prolongée jusqu’en septembre. À première vue, cela pourrait ressembler à une décision risquée. Mais en réalité, c’est peut-être l’un des gestes géoéconomiques les plus stratégiques de la décennie en Afrique.

Le cobalt congolais est un métal singulier. Essentiel à la stabilité thermique et énergétique des batteries lithium-ion, il est au cœur de la révolution verte : voitures électriques, smartphones, systèmes de stockage d’énergie solaire. À lui seul, le sous-sol congolais assure 76 % de la production mondiale selon l’Institut américain d’études géologiques. Et cette concentration unique confère à la RDC un pouvoir que peu de pays en développement peuvent revendiquer. Mais ce pouvoir a longtemps été capté par d’autres. Il y a deux ans, 15 des 19 mines industrielles de la région étaient sous contrôle chinois. Et tandis que la demande explosait, les cours mondiaux du cobalt sont d’abord montés en flèche, jusqu’à 80 000 dollars la tonne, avant de s’effondrer brutalement à 20 000 dollars. Surproduction, volatilité, spéculation. Et au milieu : un pays dépendant de ses exportations minières pour plus de 70 % de sa croissance économique.

Face à cet effondrement des prix, le gouvernement congolais a réagi avec une décision inhabituelle pour un pays fournisseur de matières premières : fermer le robinet. En suspendant ses exportations, il espère provoquer une raréfaction et tirer les cours vers le haut. Et cela a fonctionné. En quelques semaines, le prix remonte au-delà des 30 000 dollars. Mais à Kinshasa, on sait que cette hausse est fragile. Rouvrir trop tôt, c’est risquer de tout perdre. Alors l’embargo est prolongé, au moins jusqu’à septembre.

Cette tactique soulève bien des inquiétudes. Les industriels chinois, très présents dans la région de Kolwezi et Lubumbashi, ont été pris de court. Leurs chaînes d’approvisionnement sont bloquées. Les groupes internationaux commencent à douter de la fiabilité de leur approvisionnement. Certains accélèrent leurs recherches sur les batteries dites LFP – au lithium-fer-phosphate – qui ne nécessitent pas de cobalt. Ces batteries sont moins performantes, mais plus stables, plus économiques et moins politiquement sensibles. En Chine, plusieurs fabricants y voient déjà l’avenir.

Le pari congolais est donc risqué. D’autant que le secteur minier congolais traîne une réputation lourde. Travail des enfants, exploitation illégale, réseaux criminels dans les mines artisanales. Amnesty International et d’autres ONG tirent régulièrement la sonnette d’alarme. Certes, une autorité de régulation a été créée il y a six ans : l’ARECOM. Elle devait structurer le secteur, interdire l’exploitation des enfants et des femmes, imposer des normes environnementales, encourager la création de coopératives locales. Mais sur le terrain, les associations dénoncent encore un manque de moyens, des contrôles trop faibles, et une incapacité chronique à faire respecter les règles. La légitimité de la RDC à jouer ce rôle stratégique dépendra donc aussi de sa capacité à assainir son image, à réformer en profondeur.

Mais malgré ces faiblesses, quelque chose est en train de changer. En décidant de fermer temporairement le robinet du cobalt, Kinshasa envoie un signal fort. Celui d’un État qui refuse d’être le simple spectateur de la mondialisation verte. Celui d’un pays qui commence à comprendre que son sous-sol n’est pas seulement une source de revenus, mais un levier diplomatique et économique immense. Pour la première fois, la RDC fait vaciller l’ordre établi dans la chaîne de valeur mondiale.

La question, désormais, n’est pas de savoir si le pays tiendra l’embargo jusqu’en septembre. Mais s’il saura transformer cette parenthèse en stratégie durable. Investir dans des unités de transformation locale. Renégocier ses contrats avec les groupes miniers. Réorienter sa gouvernance minière vers un modèle éthique, contrôlable, traçable. Et surtout, faire en sorte que cette richesse, rare et stratégique, profite réellement au peuple congolais. Ce qui se joue aujourd’hui dans les galeries de cobalt de la RDC, ce n’est pas seulement l’avenir des batteries électriques. C’est celui d’un pays qui tente de prendre son destin économique en main. Certains observateurs contacter par kilalopress s’interrogent et si, au fond, l’embargo congolais n’était pas un frein… mais une accélération stratégique ?

Par kilalopress

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