Publié le 20 juin 2025- Malgré des promesses contractuelles et des profits colossaux, la société minière ABM SA laisse derrière elle un paysage de misère et de colère à Walikale. Enquête sur une imposture industrielle qui piétine l’environnement, les lois, et la dignité humaine.
Walikale, territoire enclavé et verdoyant au cœur du Nord-Kivu. Ici, la terre regorge de coltan, ce précieux minerai dont le monde numérique raffole. Là, une société minière canadienne, Alphamin Bisie Mining SA (ABM), exploite depuis des années l’une des mines les plus riches d’Afrique centrale. Mais derrière l’éclat du minerai se cache un silence écœurant : celui d’une communauté trahie par des milliards de dollars qui ne leur profitent jamais.
ABM promettait monts et merveilles. Elle a signé des accords, rédigé un cahier des charges, promis des projets vitaux. En contrepartie de l’exploitation, 0,3% de son chiffre d’affaires, soit près de 30 millions de dollars, devaient financer des infrastructures locales : écoles, dispensaires, accès à l’eau potable. Aujourd’hui, rien de tout cela n’est visible. Pire : les habitants vivent dans une misère plus noire qu’avant l’arrivée des bulldozers.
Ce scandale ne se limite pas à un simple défaut de livraison. Il met en lumière une violation méthodique et systématique des lois congolaises sur l’exploitation minière, les droits des communautés locales, et la protection environnementale.
ABM SA n’a pas respecté le décret n°038/2003 modifié par le décret n°18/024 du 8 juin 2018, qui impose une évaluation du cahier des charges tous les 5 ans avant toute reconduction. Or, la société a poursuivi l’élaboration d’un nouveau cahier sans même avertir la division provinciale des mines, comme l’a dénoncé la cheffe de division dans une lettre accablante du 2 juin 2025.
Les conséquences sont désastreuses : opacité dans la passation des marchés, projets non exécutés ou bâclés, colère grandissante des populations, violation du Plan de gestion environnementale et sociale (PGES), et absence de suivi des engagements financiers.
« Nous n’avons ni école digne, ni eau, ni électricité, ni route, ni même une clinique de base alors que notre terre rapporte des milliards », s’indigne un habitant du secteur Wanyanga, dont le témoignage a été relayé par la société civile dans une lettre du 4 février 2023.
Le cri d’alerte ne vient pas seulement des ONG (82 au total), mais aussi des autorités locales : l’administrateur de Walikale, les députés provinciaux, le gouverneur de province, tous dénoncent une entreprise qui agit en terrain conquis, ignorant sciemment les droits des communautés affectées.Ce qui se joue ici dépasse la seule province du Nord-Kivu. Walikale est devenu le symbole d’un modèle extractiviste inversé, où la richesse du sous-sol appauvrit les populations au lieu de les émanciper.
ABM SA est accusée d’avoir transformé une dotation censée réparer les inégalités en outil de camouflage, en finançant quelques projets alibis sans transparence, au mépris des besoins exprimés par les communautés, notamment le clan Bawana injustement exclu.La société civile exige désormais des mesures urgentes :
Implication directe du ministère des Mines et de celui de l’Environnement, pour mettre fin à l’impunité. Audit complet de la gestion des fonds entre 2016 et 2024 par l’Inspection générale des Finances ; Évaluation environnementale immédiate sur le site de Bisie ; Suspension de tout nouveau cahier des charges tant que l’actuel n’a pas été évalué comme le prévoit la loi ;À l’heure où le monde réclame des minerais pour une transition énergétique prétendument “verte”, le sang et la sueur des peuples de Walikale ne doivent plus servir de carburant silencieux. Le développement durable commence par le respect des lois, la transparence financière, la justice sociale et la préservation de l’environnement.
ABM SA doit rendre des comptes. Le gouvernement congolais doit agir. Et le monde doit ouvrir les yeux sur ce qui se cache derrière chaque smartphone ou voiture électrique.