Un rapport officiel de la CITES met en lumière un transfert problématique de chimpanzés issus de la République démocratique du Congo vers l’Inde. Entre zones d’ombre documentaires, traçabilité floue et accusations de « blanchiment » sous couvert de « sauvetage », le dossier pose une question majeure : qui profite réellement de la faune menacée congolaise ? Pour le média indépendant Kilalopress, cet article explore la mécanique de ce que l’on pourrait qualifier de « commerce déguisé », et interpelle les autorités congolaises sur leur rôle dans ce qu’il faut désormais appeler une affaire d’État.
Sous couvert de “sauvetage” et de “coopération zoologique”, neuf chimpanzés congolais ont quitté la RDC pour l’Inde. Mais un rapport accablant de la CITES, publié à l’issue de sa 79ᵉ réunion, met à nu un transfert entaché d’irrégularités et de mensonges administratifs. Au centre du scandale : l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) et le sanctuaire indien Vantara, vitrine verte du milliardaire Mukesh Ambani.

Dans les documents officiels de la CITES, la République démocratique du Congo est mentionnée comme pays exportateur de neuf chimpanzés (Pan troglodytes) à destination du Gujarat Zoological Rescue and Rehabilitation Centre (GZRRC), plus connu sous le nom de sanctuaire Vantara. Le motif invoqué : “bien-être animal et conservation”. Mais le rapport de la CITES (SC79 Doc.6.3.4) révèle une série d’anomalies troublantes dans le processus. D’abord, le transfert interne des chimpanzés depuis Buta vers Kinshasa Zoo n’a eu lieu qu’après la délivrance du permis d’exportation. Autrement dit, l’ICCN a signé un document sans même savoir quels animaux allaient réellement partir. Ensuite, une autre note interne mentionne douze chimpanzés du Centre de Lwiro censés rejoindre Kinshasa, une opération finalement jamais exécutée. Ce flou total fait planer un doute terrible : les animaux exportés pourraient provenir directement du milieu naturel.https://cites.org/sites/default/files/documents/E-SC79-06-03-04.pdf
Officiellement, la RDC a certifié que ces chimpanzés étaient nés en captivité, en utilisant le code “C” dans le permis d’exportation. Mais selon la Résolution Conf. 10.16 (Rev. CoP19), ce code n’est valable que si l’on prouve la reproduction sur au moins deux générations (F2) dans un environnement contrôlé. Aucune trace génétique, aucun certificat vétérinaire ni registre de naissance n’a été fourni. Le rapport CITES souligne cette incohérence : “Le fait qu’un animal soit maintenu en captivité ne suffit pas à justifier l’usage du code C.” En clair, la RDC et l’Inde ont maquillé une exportation illégale en opération de conservation. Ce mensonge administratif transforme des animaux sauvages capturés en “spécimens d’élevage” parfaitement légaux sur le papier.

En tant qu’autorité de gestion CITES en RDC, l’ICCN devait garantir la légalité et la traçabilité des spécimens. Or, le rapport révèle une absence totale de contrôle : pas de traçabilité claire entre Buta, Kinshasa et Lwiro ; pas d’audit indépendant sur la source des chimpanzés ; et une approbation précipitée d’un permis d’exportation au bénéfice d’un acteur privé étranger. Pour une institution censée protéger la faune congolaise, cette légèreté frôle la complicité. La CITES met désormais la pression sur la RDC pour qu’elle fournisse des explications. Mais à Kinshasa, le silence de l’ICCN en dit long : l’affaire gêne, car elle expose la fragilité du système de contrôle et la tentation de l’argent facile.
Le sanctuaire Vantara, propriété du conglomérat Reliance Industries, s’est imposé comme le “refuge écologique” le plus médiatisé d’Asie. Mais derrière le discours de compassion animale, la CITES note une série d’importations depuis des pays qui ne possèdent même pas ces espèces à l’état sauvage : Irak, Syrie, Haïti, Koweït, Égypte… Un véritable circuit parallèle d’animaux exotiques, requalifiés en “sauvetages humanitaires”. L’Inde, en acceptant ces cargaisons sans contrôle indépendant, se rend complice d’un blanchiment écologique à grande échelle. Sous le vernis d’un sanctuaire moderne, Vantara fonctionne comme une vitrine de prestige, instrumentalisant la conservation pour renforcer l’image d’un empire industriel.
Cette affaire dépasse la RDC : elle met en lumière une faille systémique dans l’application de la CITES. Quand des institutions africaines affaiblies valident des documents douteux, elles ouvrent la voie à un nouveau type de pillage : le transfert légal d’espèces sauvages sous couvert de sauvetage. C’est la version écologique du néocolonialisme : on ne pille plus les minerais, on exporte la faune vivante avec bénédiction administrative.
Les ONG congolaises exigent déjà une enquête indépendante et la suspension de tout transfert d’espèces protégées vers l’Inde. Elles appellent à réaffirmer la souveraineté écologique du Congo, en exigeant la transparence de l’ICCN et des comptes sur ce trafic camouflé. Car derrière chaque chimpanzé parti, c’est un fragment de notre patrimoine vivant qui s’éteint, troqué contre des promesses diplomatiques et des signatures sans conscience.
Ce rapport de la CITES ne révèle pas seulement un scandale : il met à nu un système où la conservation devient un marché, où les sanctuaires deviennent des vitrines de pouvoir, et où la faune congolaise sert de monnaie d’échange. Tant que le Congo ne reprendra pas le contrôle total de sa biodiversité, d’autres Vantara surgiront, d’autres deals secrets s’écriront, et nos forêts continueront d’être dépouillées sous le masque de la “coopération internationale”.
Par kilalopress