À l’occasion de la Journée nationale du poisson, célébrée chaque 24 juin en République Démocratique du Congo, l’organisation Badilika Droits Humains a lancé une alerte grave sur la situation environnementale préoccupante du lac Édouard, notamment dans sa partie ouest relevant du territoire congolais. Ce plan d’eau, l’un des plus riches en biodiversité du pays, fait face à une exploitation anarchique et destructrice, dans un climat d’impunité généralisée.
Malgré la présence officielle de la Force navale congolaise censée assurer la surveillance du lac, la pêche illégale y prospère à grande échelle. Des embarcations non conformes continuent d’être fabriquées et utilisées, des filets prohibés circulent librement, et tout un réseau informel, parfois mafieux, alimente ce commerce frauduleux. Selon Badilika, certains agents de l’État affectés dans les entités lacustres ferment volontairement les yeux, voire participeraient à ces violations, profitant d’une corruption structurelle bien ancrée dans le système local.
La situation devient encore plus critique dans les zones actuellement occupées par des groupes armés, comme le M23 ou les milices Wazalendu. Ces derniers auraient mis en place un système de taxation illégale, obligeant les pêcheurs clandestins à verser des pots-de-vin pour accéder librement au lac. Ce contrôle parallèle contribue à l’extension incontrôlée de la pêche illicite, sans aucune considération pour les conséquences écologiques ou pour les lois en vigueur. Ces pratiques renforcent l’idée que le lac Édouard est en train de devenir une zone de non-droit, où les ressources naturelles sont pillées au vu et au su de tous.
Dans son communiqué, Badilika exige une réponse ferme de la part de la justice congolaise. L’organisation appelle à l’ouverture immédiate de poursuites judiciaires contre tous les acteurs impliqués : groupes rebelles, miliciens, agents publics complices, et toute personne ayant contribué à la dégradation du lac. Selon elle, la conservation du patrimoine naturel national ne peut se faire sans répression effective des crimes environnementaux. L’impunité actuelle, si elle persiste, risque de légitimer une exploitation sauvage qui compromet l’avenir des communautés riveraines.
Au-delà de la pêche illégale, Badilika s’inquiète également de la volonté affichée par certaines autorités de mettre en vente des blocs pétroliers dans la région du lac Édouard. Une telle initiative, selon l’organisation, constituerait une double menace : d’une part, pour l’écosystème déjà fragile du lac ; d’autre part, pour la sécurité et la stabilité des populations qui en dépendent. Elle appelle le gouvernement congolais à suspendre immédiatement toute démarche d’exploitation pétrolière dans ou autour du lac, et à plutôt orienter ses efforts vers une gouvernance durable et inclusive des ressources halieutiques.
Le lac Édouard, au-delà de sa valeur économique, est un symbole de vie, de souveraineté et de survie pour des milliers de Congolais. Laisser se poursuivre son exploitation illégale, sous le silence ou la complicité de l’État, reviendrait à abandonner un bien commun entre les mains d’intérêts privés, mafieux ou militaires. Pour Badilika, il est temps de considérer ce lac non pas comme un gisement à exploiter ni un butin de guerre, mais comme un trésor écologique à protéger et à transmettre aux générations futures.
Roger KAKULIRAHI.