Kinshasa, 26 décembre 2024 – La République Démocratique du Congo (RDC), pays aux immenses richesses naturelles et à la biodiversité exceptionnelle, se trouve à un tournant crucial dans sa gestion du changement climatique. Alors que le pays a pris des engagements dans le cadre de l’Accord de Paris, notamment à travers ses Contributions Déterminées au niveau National (CDN), plusieurs obstacles freinant la mise en œuvre de ces engagements demeurent.
Floribert Nyamwoga, expert en ingénierie environnementale et observateur de longue date de la question climatique en RDC, a livré un constat sans équivoque lors d’un entretien exclusif avec Kilalopress ce 26 décembre. Selon lui, si la RDC veut réellement jouer un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, il est impératif de résoudre les problèmes structurels et financiers qui entravent l’efficacité de la CDN.
Le premier défi auquel le pays est confronté, explique M. Nyamwoga, est l’absence d’un financement clair et stable pour réaliser ses engagements climatiques. Pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre inscrit dans la CDN, la RDC devra investir environ 43 milliards de dollars. Un montant colossal pour un pays dont le budget est déjà largement insuffisant pour répondre aux besoins urgents en matière de développement social et d’infrastructures.
“On ne sait pas comment cet argent viendra”, déplore l’expert. “On a un document, certes, mais la question qui se pose est : comment allons-nous le réaliser ?” Un manque de visibilité sur les sources de financement, tant au niveau national qu’international, menace sérieusement la mise en œuvre de la CDN en RDC.
Outre la question du financement, un autre problème majeur est la faible structuration des secteurs clés pour la réduction des émissions. Selon M. Nyamwoga, la CDN congolaise ne prend pas encore en compte des secteurs cruciaux comme celui des déchets, de l’énergie ou des transports – des domaines où des réductions significatives d’émissions pourraient être réalisées. Le manque de données fiables sur les émissions et l’absence de mécanismes de suivi dans ces secteurs compliquent davantage la tâche.
“La CDN est irréaliste dans sa forme actuelle, sur le plan des ambitions et des coûts. Nous avons pris des engagements, mais sans une véritable base pour les concrétiser, cela devient de l’ordre de la fiction”, affirme-t-il.
La RDC, comme de nombreux autres pays en développement, voit dans les marchés de carbone une opportunité pour générer des financements supplémentaires pour ses projets climatiques. Cependant, M. Nyamwoga souligne qu’il existe un énorme fossé entre les promesses et la réalité. Le pays, qui aurait dû tirer parti des mécanismes de marché de carbone depuis l’ère du Protocole de Kyoto, a pris un retard considérable. La certification des projets de réduction des émissions et la vente de crédits carbone demeurent à des niveaux insignifiants.
“La RDC est encore très loin derrière”, regrette-t-il. “Les pays qui ont vraiment investi dans les projets carbone, en Afrique ou ailleurs, ont récolté de vrais résultats. Nous, nous n’avons même pas encore réussi à structurer notre marché du carbone.”
Selon M. Nyamwoga, l’État congolais doit prendre des mesures urgentes pour stimuler la production d’actifs de carbone par le secteur privé, seul capable de créer un véritable marché. Actuellement, les initiatives locales en matière de projets de réduction des émissions sont éparses et mal financées, ce qui rend l’activation du marché de carbone pratiquement impossible.
“Il faut absolument inciter le secteur privé à investir dans des projets concrets de réduction des émissions. L’État doit mettre en place des mécanismes d’incitation et des stratégies pour rendre ces projets attractifs”, soutient-il. “Sans une offre suffisante d’actifs carbone, il n’y aura pas de demande, et donc pas de marché.”
Si le diagnostic est sévère, il existe toutefois des solutions, selon l’expert. La première consiste à structurer la régulation interne et à mettre en place des outils efficaces pour le suivi des actions des différents acteurs du marché, afin d’assurer la transparence et la bonne gestion des projets. La deuxième solution clé est d’encourager la création de projets carbone à travers des politiques incitatives. Le pays doit non seulement attirer les investisseurs, mais aussi renforcer l’implication du secteur privé dans la mise en œuvre de sa CDN.
M. Nyamwoga appelle les autorités congolaises à sortir de leur inertie et à prendre conscience de l’urgence climatique. La RDC ne peut se permettre de rater une nouvelle occasion d’intégrer les marchés de carbone mondiaux, d’autant que ces mécanismes représentent un levier financier crucial pour le développement durable du pays.
“Le Congo ne peut pas se contenter de signer des accords. Il doit passer à l’action concrète”, conclut-il. “Nous devons structurer nos efforts, attirer des investissements, et enfin, mettre en œuvre une véritable stratégie climatique.”
La RDC, avec sa vaste biodiversité, ses forêts tropicales et ses ressources naturelles, dispose d’un potentiel unique pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais pour que cet engagement soit effectif, il est impératif que le pays surmonte les défis liés au financement, à la structuration des secteurs, et à l’implication du secteur privé. Seul un effort concerté pourra permettre à la RDC de ne pas manquer cette opportunité historique.
Par Franck zongwe lukama